Construites sur l’idée que les peuples « s'étaient endormis » pendant des siècles de domination ottomane avant de se réveiller au son d’une modernité tardive, les historiographies nationales du Moyen-Orient ont présenté la sortie de l'Empire ottoman comme une rupture. La réalité de ces transformations ne saurait être remise en question, car cette époque charnière témoigne d’une multitude de reconversions, cultivées comme des projets politiques par les nationalismes de la région. Il nous apparaît pourtant qu'on donne à l’effacement de l’Empire ottoman de la carte politique une portée globale forcée et mécanique. De même que l'ingénierie sociale de nouveaux États ne s'est pas faite en opposition systématique au legs ottoman, de même l'ingénierie culturelle n'a pas conduit à une disparition brutale des référents ottomans, notamment des référents turcs ottomans dans le monde arabe, et arabes dans la Turquie républicaine. Au contraire, ce legs a souvent été entretenu, tantôt par un attachement non délibéré à des formes ottomanes connues, tantôt par une réappropriation intentionnelle du reliquat ottoman, à des fins de revendications diverses. Ce volume s’intéresse aux expressions socio-politiques, culturelles, linguistiques et littéraires de l’hybridation des référents ottomans dans les espaces turcs et arabes après 1918 – que nous appelons les fantômes d’Empire – en s’appuyant sur une documentation aussi bien visuelle et matérielle que diplomatique ou littéraire.
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