Ultime survivante de la génération Rivière qui fonda le Musée national des arts et traditions populaires en 1937, Suzanne Tardieu-Dumont est morte à l’âge de 99 ans le 23 septembre 2019. Issue d’une famille bourgeoise éclairée qui encouragea la jeune femme à poursuivre ses études, elle s’inscrivit à l’École du Louvre où le génial muséologue enseignait. Après avoir réalisé, sous la direction de Paul Rivet, le Musée de l’Homme, Georges Henri Rivière avait entrepris de consacrer au folklore de la France un nouvel établissement. Dès 1940, Suzanne Tardieu fait partie de la première équipe. Après la guerre, elle exerce les fonctions de chef des collections puis se consacre à l’étude de celles qui relèvent de « la vie domestique » dont elle constitua un répertoire de plus de 35 000 fiches. Elle participe activement à la réalisation de plusieurs des expositions temporaires qui serviront de préfiguration aux vitrines du Musée lorsque celui-ci ouvrira ses portes au bois de Boulogne en 1972. « Objets domestiques des provinces françaises dans la vie familiale et les arts ménagers » présentée d’avril 1953 à février 1954 connut un grand succès auprès du public et dans la presse. Cette exposition incarne la « méthode Rivière » : faire parler l’objet sous toutes ses facettes, fonctionnelles, techniques, culturelles, sociales. Titularisée comme chercheur au CNRS dès 1945, elle réalise une importante thèse publiée en 1964 et intitulée La Vie domestique dans le Mâconnais rural préindustriel (Paris, Institut d’ethnologie), fondée sur le recueil de témoignages oraux et le dépouillement de sources notariées. Elle participe aussi à la grande enquête pluridisciplinaire que le Musée a conduite sur les « montagnes » de l’Aubrac, où elle étudie les intérieurs domestiques et la tuerie du cochon : ses travaux comme ceux de toute l’équipe consacrent le passage du folklore à une ethnologie scientifique de la France. Dans les années 1980, Suzanne Tardieu-Dumont dirige deux des volumes de la collection « Le mobilier régional français », Normandie d’une part, et Bourgogne, Bresse, Franche-Comté d’autre part, qui étaient fondés sur la publication des nombreuses monographies de meubles rassemblées par Georges Henri Rivière dans le cadre d’un des « chantiers intellectuels » – selon l’expression du temps – que le musée lança pendant la guerre. Au-delà de ces deux exemples régionaux, l’ouvrage Le mobilier rural traditionnel (Aubier-Flammarion), publié en 1976, propose une synthèse entre histoire, technologie et ethnologie, à propos d’un artisanat qui connut son âge d’or aux xviiie et xixe siècles avant la diffusion industrielle du meuble en série. Suzanne Tardieu-Dumont s’appuie sur l’étude des meubles in situ ou dans les musées ; elle utilise une très riche iconographie et se fonde aussi sur les monographies de meubles réalisées dans les années 1940. Cette célibataire retrouva en 1978 son amour d’enfance, le grand indianiste Louis Dumont qui avait fait ses premiers pas au Musée avant la guerre en étudiant une fête traditionnelle, « La Tarasque » de Tarascon. À partir de cette date, Suzanne Tardieu-Dumont s’attache surtout à soutenir l’œuvre de son époux jusqu’à la mort de celui-ci en 1998. Elle dirige jusqu’en 2017 le fonds Louis Dumont d’aide à la recherche en anthropologie sociale de la FMSH qui finance depuis 1988 les travaux de terrain de jeunes anthropologues.
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