Raymonde Crête, Christine Morin
ARTICLES La protection juridique des personnes aînées contre l’exploitation financière* Introduction Raymonde Crête et Christine Morin** Dans plusieurs sociétés occidentales, le vieillissement de la population est devenu un phénomène marquant qui soulève des préoccupations importantes de nature économique, sociale, éthique et juridique. Ce vieillissement de la population s’explique par l’augmentation de l’espérance de vie conjuguée à une faible fécondité, de même que par l’avancée en âge des baby-boomers qui joignent le groupe des aînés1. Au Canada, les individus de 65 ans et plus représentaient, en 1984, 10 % de la population canadienne, comparativement à 15,7 % en 2014, soit près d’une personne sur six2. Au cours des 30 dernières années, la population âgée de 85 ans et plus a connu la plus forte croissance (+ 239,8 %) parmi les groupes d’âge de 40 ans et plus. Au Québec, l’importance relative des personnes âgées de 65 ans et plus était, en 1981, de 8,8 %, comparativement à 17,1 % en 2014 (1,4 million sur une population de 8,1 millions)3. Toujours au Québec, on prévoit qu’en 2031, une personne sur quatre, soit 25 % de la population, sera âgée de 65 ans et plus4. Parmi les pays de l’OCDE, on anticipe que le Québec, à l’instar de quatre autres États, enregistrera l’un des taux d’accroissement les plus élevés du nombre de personnes de 65 ans et plus, et que ce nombre aura presque doublé en 25 ans, soit entre 2005 et 20305. Tout en reconnaissant la difficulté de déterminer l’âge auquel une personne est considérée comme une « personne âgée » ou une « personne aînée »6, on observe que la vulnérabilité des personnes est susceptible d’augmenter avec l’âge et que, lorsque la vulnérabilité d’une personne s’accroît7, le risque d’exploitation financière ou matérielle augmente8. La faiblesse, la maladie, les déficiences physiques, psychologiques ou intellectuelles, l’isolement social, la faible scolarisation ou l’analphabétisme, le niveau de crédulité ou de naïveté, la cohabitation avec un proche ayant des problèmes d’alcoolisme, de toxicomanie, de jeu compulsif ou de santé mentale, de même que l’état de dépendance envers autrui sont autant de facteurs qui contribuent à accroître la vulnérabilité de la personne âgée et, du même coup, le risque d’exploitation financière ou matérielle9. De plus, en raison de l’importance des actifs accumulés au fil des ans (immeubles, placements, biens de valeur, etc.), les aînés peuvent devenir des cibles de choix pour différentes personnes qui cherchent à profiter de leur situation de vulnérabilité en vue d’obtenir des avantages pécuniaires, portant ainsi atteinte aux ressources patrimoniales de ces personnes10. L’exploitation financière ou matérielle des personnes aînées, aussi nommée maltraitance financière ou matérielle11, est un problème complexe et multifactoriel qui préoccupe bon nombre d’acteurs à travers le monde, car il s’agit de l’une des formes de maltraitance les plus répandues12. Ce phénomène couvre toute forme d’appropriation, de contrôle ou d’affectation, illicite ou indue, de biens matériels ou immatériels d’une personne vulnérable et qui porte atteinte à ses droits ou à ses intérêts13. Les conséquences de cette forme d’exploitation sont elles aussi variées et potentiellement dévastatrices. L’exploitation financière peut en effet entraîner des pertes financières considérables, allant jusqu’à celle des économies d’une vie, de même que des préjudices touchant la santé physique et psychologique de la personne14. En outre, comme les auteures Beaulieu, Leboeuf et Crête le soulignent dans une recension des écrits sur ce phénomène, « l’exploitation financière peut avoir des impacts sur le plan social et plus particulièrement sur le réseau formel (services publics et communautaires) et informel (les proches) des personnes aînées qui le sollicitent davantage »15. Interpellés par ce phénomène et, plus généralement, par la problématique de la maltraitance envers les personnes aînées, plusieurs organismes et individus interviennent en vue de lutter contre les différentes formes d’atteinte aux droits de ces personnes.
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