Sortis du purgatoire qui suit leur mort, et lorsqu'ils prennent leur stature définitive, nombre de grands écrivains révèlent un visage inconnu ou mal connu. Ainsi de Paul Valéry, tenu de son vivant pour un très grand poète qui s'était amusé à écrire quelques essais, et que l'on découvre aujourd'hui, à travers ses « Cahiers », comme un penseur profond et incisif, ayant écrit quelques poèmes qui eurent en leur temps une heure de gloire. Ainsi, à son tour, d'Alain, qui forma tant et tant de jeunes universitaires. On pensait, et l'on pense souvent encore qu'Alain, admirable professeur, n'était qu'un piètre penseur : « A l'enseigne de pense-petit, disait, il y a trente ans, André Rousseau, le professeur Alain tient boutique de philosophie. » Et l'on jugeait ses écrits comme des « Propos » aimables qui donnaient à réfléchir, sans doute, mais ne constituaient pas à proprement parler une œuvre philosophique parce que sans unité. Dans cet article, consacré au langage d'Alain, François Richaudeau montre que cette unité, au contraire, existe profondément. En démontant le mécanisme de la phrase d'Alain, il démontre que son écriture, toujours d'un seul jet, était aussi une pédagogie active et sans cesse en action. On peut juger le langage d'Alain rocailleux, abrupt, voire sans élégance : il était, avant tout, efficace, il visait à faire apprendre, comprendre et retenir. Et, au-delà de sa pédagogie, il exprime, à travers ses « Propos », une unité de pensée qui ne se marque pas dans la construction, linéaire d'une œuvre, mais dans la cohérence d'un rationalisme qu'il voulut poussé à ses utimes conséquences.
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