UNE UTOPIE RÉACTIONNAIRE : L'ÉPURATION DE L'ADMINISTRATION DURANT LA DERNIÈRE DÉCENNIE DU RÈGNE DE FERDINAND VII
(1823-1832)
Jean-Philippe LUIS Membre de l'École des hautes études hispaniques
Le règne de Ferdinand VII participe de la légende noire de l'Espagne. L'absolutisme moribond est assimilé à « une ère sanglante de crimes juridiques, d'assassinats et de proscriptions qui ternissent les annales de la malheureuse Espagne »l. Cette réputation, largement entretenue par l'historiographie libérale, est en grande partie liée à la forme prise par les deux restaurations, celle de 1814 et surtout celle de 1823 qui met un terme à l'expérience libérale du Trienio, grâce à l'intervention française des « cent mille fils de Saint Louis ».
Afrancesados, puis libéraux sont pourchassés, emprisonnés, parfois exécutés2. Un jViva la Constitution! valait fréquemment dix années de prison en 1824-253 et le maître d'école Cayetano Ripoll eut le triste privilège d'être en 1827, à Valence, la dernière personne condamnée à mort par la Junta de fe, tribunal succédant à celui de l'Inquisition .
La restauration de 1 823 diffère cependant de celle de 1 8 14 dans la mesure où l'État met en place un système répressif dont l'ambition est de toucher l'ensemble des structures d'encadrement de la société : structures politiques, militaires, religieuses, culturelles et économiques. La première d'entre elles, la fonction publique, est visée, dès avril 1823, par la circulaire de Vitoria promulguée par la
Estanislao de Kotska Bayo, Historia de la vida y reinado de Fernando VII de Espana, Madrid, 1842, III, p. 163.
Voir la synthèse réalisée par Alberto Gil Novales, « Dias de persecution y terror ( 1 8 1 4- 1 833) », Historia 16, extra III, 1977, p. 8-26.
Josep Fontana, « Represiôn politica y violencia civil en 1823-1833 », Industrialization y nacio- nalismo (Actas del I coloquio vasco catalan celebrado en Sitges, 20-22 décembre 1982), Barcelone, 1985, p. 317 (= Fontana, Represiôn politica).
Grossièrement, ces Juntas de fe remplaçaient l'Inquisition qui, sur la pression des Français, n'avait pas été rétablie. Voir sur la question l'ouvrage classique et toujours très utile : Luis Alonso Tejada, Ocaso de la Inquisition, Madrid, 1969.
Mélanges de la Casa de Velazquez (MCV), 1994, t. XXX (3), p. 7-35.
