COMPTES RENDUS

Le lancement, en 1938, de l'hypothèse concernant la dépendance de la Régula Benedicti de l'obscure et presque méconnue Régula Magistri, fut un tremblement de terre dans la famille bénédictine, ébranlée dans sa piété filiale envers le Patriarche des moines d'Occident, mais aussi dans le monde de l'érudition tout court. Plus d'un demi-siècle plus tard, l'hypothèse a gagné beaucoup d'adeptes, devenant même un fait acquis, bien que la question ne soit pas encore tranchée, surtout dans les détails. Mais la tempête s'est calmée, compte tenu de la confirmation du caractère magistral de la RB, en dépit de sa partielle dépendance de la RM, et du peu d'originalité que le genre littéraire lui-même impose à n'importe quelle règle monastique. Dans une situation préliminaire, c'est le cas précis d'un éditeur ancien à la recherche de modèles pour les moines et les monastères, nous voulons parler de Benoît d'Aniane (cf. p. 133-138 du présent ouvrage, « Attitude de Benoît vis-à-vis de son modèle »). C'est là le besoin de tout législateur monastique, y compris saint Benoît, de s'insérer dans la tradition antérieure, avec toutefois la possibilité de marquer son œuvre de son sceau personnel ; tel est le point de départ de l'œuvre littéraire de ce second Benoît, Anianensis, de sa Concordia Regularum, son chef-d'œuvre, sorte d'édition de la RB avec le détail de ses concordances avec les autres règles monastiques d'Occident, mais aussi de son entreprise première, le Codex Regularum, corpus de celles-ci. Un travail d'édition en lui-même.

Et c'est pour cela que Pierre Bonnerue, en nous offrant à son tour l'édition critique de la Concordia Regularum, a dû envisager l'état des textes des règles rassemblées et partiellement transcrites, c'est-à-dire des règles contenues dans le Codex Regularum, dont le texte complet ne nous est pas parvenu mais dont il faut suivre la trace. À cette tâche abordée par l'éditeur, il faut joindre l'histoire de l'œuvre réformatrice de Benoît d'Aniane, qui explique et justifie son activité de compilateur et d'écrivain. Il faut ajouter que, dans l'étude de cette réforme, notre éditeur ne s'arrête pas à la conception de la vie monastique de YAnianense mais qu'il étudie le résultat de sa compilation et de son exégèse, c'est-à-dire sa vision du bénédictinisme comme summa à laquelle le monachisme occidental était parvenu, déterminant la conversion du personnage en apôtre de la bénédictinisation. Mais le second Benoît était aussi un partisan enragé d'une certaine unité de gouvernement pour l'ensemble des monastères, ce qui est bien souvent sévèrement condamné par la tradition bénédictine, même au xxe s. (il faut signaler le manque de références dans la bibliographie aux grandes histoires des bénédictins, telles celles de Schmitz et de Mabillon, et concernant les questions en rapport immédiat avec la RB, à certains travaux de dom Froger, p. ex.). Dans cet entrecroisement de questions, il semble que l'éditeur a mis une certaine confusion entre l'établissement du texte de la RB et l'histoire de sa diffusion (p. 160), deux problèmes certes différents, avec indépendance de sa transcendance historique d'après l'opinion des historiens. Il faut reconnaître que sur ce point l'A. nous offre là une synthèse précise du status quaestionis, dans l'attente d'une nouvelle édition critique de l'œuvre du premier Benoît, ce pour quoi nous avons peu d'espoir compte tenu de la situation statique du pro-

Cahiers de civilisation médiévale, 45, 2002, p. 173-204.