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Michael Goodich. — Other Middle Ages. Witnesses at the Margins of Medieval Society.Philadelphie, University of Philadelphia Press, 1998 (Middle Ages Series).

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MICHAEL GOODICH

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Michael Goodich. — Other Middle Ages. Witnesses at the Margins of Médiéval Society. Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1998, VIII-265 pp. (Middle Ages Séries).

Michael Goodich, professeur à l'Université de Haïfa, qui a déjà publié The Unmentionable Vice : Homosexuality in the Later Médiéval Period (1979) et Violences and Miracles in the Fourteenth Century : Private Grief and Public Salvation (1995), a rassemblé ici des textes passionnants et peu connus sur les marges de la société médiévale, entre 1050 et 1350 ; des textes qui permettent de revisiter cette société à partir de ses bords. Par « marginaux », l'A. entend ici non seulement les groupes que le Moyen Âge exclut progressivement d'une pleine participation à la société civile, mais aussi les individus qui s'excluent eux-mêmes plus ou moins volontairement de cette société. Sont successivement passés en revue les juifs, les apostats et les convertis, les non- conformistes sexuels, les possédés et les victimes du diable, les hérétiques, enfin les marginaux temporaires qui, comme Claire d'Assise ou Salimbene, se placent eux-mêmes à un moment de leur vie dans une situation « liminale », à travers ce que l'A. décrit comme des rites de passage (exclusion / séparation / réintégration). Les marges explorées ici ne coïncident tout à fait ni avec les catégories concernées par la persecuting society de Robert Moore1, ni avec les Randgruppen des historiens allemands du bas Moyen Age. C'est cette définition large, voire floue, des marginaux qui permet d'y inclure les ermites et les possédés, les saints et les fous. Du même coup, ces marges s'éclairent davantage de l'omniprésence du diable ou du surnaturel qui les surplombent. Sont étudiés ici non pas tant les processus d'exclusion ou de mise à l'écart que la manière dont ces processus affectent des parcours de vie, la manière dont finalement le lien social est mis à l'épreuve.

En privilégiant, aux dépens des textes officiels,

1. The Formation of a Persecuting Society, Oxford, 1987 ; trad. franc. : La persécution. Sa formation en Europe, xe-xme s., Paris, 1991 ; hérétiques, Juifs, lépreux, homosexuels, prostituées ; la mise à l'écart des sorcières et des vagabonds n'apparaît qu'à la fin du Moyen Âge.

les voix qui viennent des marges, l'A. permet de mieux approcher les passages, les ruptures, mais aussi les pressions ou les réactions de l'entourage. Trois grandes catégories de sources sont ici convoquées : les registres de l'Inquisition et principalement celui de Jacques Fournier (1320), à travers les cas du juif Baruch le Germain, du sous-diacre homosexuel Arnaud de Vergniolle, et de la dame cathare Béatrice de Planissoles ; les procès de canonisation et la littérature hagiographique (sainte Claire d'Assise, 1254 ; Claire de Montefalco, 1318 ; saint Nicolas de Tolentino, 1325) ; enfin un ensemble exceptionnel de textes autobiographiques : Otloh de Saint- Emmeram (Liber de tentationibus suis, call50), Obadia le Normand (apr. 1121), Hermann le Juif (Opusculum de conversione sua, ca 1150), Salimbene de Adam, le pape Célestin V (1296), Raymond Lulle {De vita sua, 1312). Ces derniers textes éclairent les inflexions et les tournants dans des parcours de vie, la conversion à une autre religion ou la « conversion » à l'intérieur du christianisme, et montrent l'importance des rêves et des visions dans ces moments de rupture. Dans ce Moyen Âge central, des liens étroits unissent le recours à l'autobiographie, la conversion, l'interprétation des rêves et l'émergence de l'individu ; le modèle augustinien des Confessions a alors été mis à la disposition de tout un chacun ; et, comme l'a proposé Jacques Le Goff, le rêve a peut-être été une des voies principales par où l'individu s'est affirmé.

Michael Goodich a rassemblé ici des textes qui sont aussi particulièrement riches en informations sur la vie quotidienne et l'histoire sociale ; qui permettent, p. ex., de saisir à travers une histoire de miracle les réactions de tout un village à une tentative de suicide ; qui fournissent en tout cas une excellente manière d'approcher les rapports de l'individu avec la société qui l'entoure, et les contraintes qu'elle impose. En élargissant délibérément le modèle de la persecuting society aux convertis, aux possédés et aux ermites, il laisse aussi entrevoir que cette société, au moins avant la fin du Moyen Âge, n'eut peut-être pas tant la passion d'exclure que la passion d'inclure ; mais l'un ne va sans doute pas sans l'autre.

Jean-Louis Roch.