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Chantai MARÉCHAL
Le lai de Fresne et la littérature édifiante du xne s. l
Résumé
C'est par un souci de clarté hérité du classicisme que l'on a voulu attribuer, de façon globale, aux premières œuvres de Marie de France, le statut de «genre littéraire», et l'étiquette de «lai narratif»2. Plusieurs médiévistes de renom leur ont ainsi appliqué, sans réserve, la définition de Gaston Paris : «contes d'aventure et d'amour, où figurent souvent des fées, des merveilles, des transformations»3. Leur lecture apportant un soutien à cette prise de position, Le Bisclavret, Le
1. Le récit de Fresne commence à peu près un an avant la naissance de l'héroïne. Les premiers vers évoquent l'amitié de deux chevaliers bretons — amitié brisée par la malveillance de l'une de leurs femmes. La crise éclate avec la naissance, dans l'un des foyers, de deux jumeaux. Les compagnons se réjouissent, mais mue par la jalousie, l'épouse restée sans enfant exploite la superstition populaire pour nuire à la réputation de sa voisine. La naissance de deux jumelles lui apporte bientôt un juste châtiment. Par crainte de devenir la risée d'une société déjà mal disposée à son égard, elle décide de cacher son infortune. L'une des fillettes est déposée secrètement sur la branche d'un frêne (d'où son nom), devant la porte d'une riche abbaye. Adoptée par l'abbesse elle-même, elle reçoit une éducation digne de ses origines et devient, bien sûr, la plus courtoise pucelle qui soit. Sa beauté étant à la hauteur de sa réputation un riche seigneur de la région, Gurun, s'éprend d'elle, la séduit, et l'emmène dans son château. Quelques années plus tard, ses vassaux exigent de lui qu'il délaisse sa compagne pour épouser la fille d'un de ses riches voisins, Coudre. Par un cruel hasard, celle-ci n'est autre que la sœur de Fresne. La dignité avec laquelle la jeune femme accepte sa disgrâce lui gagne l'admiration générale. Le soir du mariage, dans un dernier élan d'amour, elle embellit la couche nuptiale du drap précieux dans lequel elle a été trouvée enfant. Ce geste a les conséquences que l'on devine : Fresne retrouve ses parents et épouse Gurun, après interruption in extremis des noces de ce dernier.
2. Qu'on se souvienne de cette phrase de Jean Frappier : «Je ne vois pas d'arguments sérieux qui autorisent à nier la réalité et même la stabilité de ce genre littéraire, le lai, aux xne et xme s.» («Remarques sur la structure du lai, essai de définition et de classement», dans La littérature narrative d'imagination, des genres littéraires aux techniques d'expression, [Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1959], Paris, 1961, p. 29).
3. Gaston Paris, «Romans en vers du cycle de la Table Ronde», dans Histoire littéraire de la France, t. XXX, Paris, 1888, p. 91.
