Couverture fascicule

Stewart Gregory et Claude Luttrell, éd. — « Cligés » : Chrétien de Troyes. Woodbridge, Boydell and Brewer, 1993 (" Arthurian Studies ", 28)

[compte-rendu]

Fait partie d'un numéro thématique : Comptes Rendus
doc-ctrl/global/pdfdoc-ctrl/global/pdf
doc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/resetdoc-ctrl/global/reset
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
Page 34

Woodbridge, Boydell and Brewer, 1993, xxxvni-389 pp. («Arthurian Studies», 28).

On s'étonne de constater qu'avant 1993, il n'existait guère d'édition véritablement critique d'un roman de Chrétien de Troyes. Les vieilles éditions de Foerster-Hilka, tout en restant indispensables grâce à la varia lectio et aux notes textuelles, furent préparées selon des principes de l'époque, et nous présentent un Chrétien un peu anodin, revêtu d'un dialecte supposé «champenois», qui n'était probablement pas le sien, et qui n'a sans doute jamais existé en tant que tel. Selon St. Gregory et Cl. Luttrell, Foerster accorde trop de confiance au ms. S (BN, fr. 1374) dans son édition de 1884, édition dont l'apparat critique contient aussi de nombreuses erreurs (p. xxix). Si ces éditions qu'on a qualifiées de « lachmanniennes » vont plutôt dans la direction de Viollet-le-Duc, les éditions Roques- Micha-Lecoy publiées dans les «Classiques Français du Moyen Âge », privilégient un seul manuscrit (le BN, fr. 794, dit « le manuscrit Guiot ») dont elles retiennent toutes les leçons aberrantes, parfois à l'encontre de toute vraisemblance et de toute logique ; elles remplacent le poète par le copiste et, n'ayant pas d'apparat critique proprement dit, privent le lecteur des moyens de peser l'intérêt et l'importance des autres témoins manuscrits. Elles sont une sorte de reductio ad absurdum de la méthode de Bédier. Micha (1957) «suit le conservatisme à outrance » (p. xxx) de Roques et commet une cinquantaine de fautes de lecture du manuscrit de base. Une nouvelle édition se justifie donc pleinement.

L'année 1993 a connu la publication de deux éditions critiques des romans de Chrétien, c'est-à-dire ma propre édition du Perceval (Tubingen, Nie- meyer) et l'ouvrage dont il est question ici. Je me trouve en principe d'accord avec St. Gregory et Cl. Luttrell quant au but de leur travail : sans avoir la prétention de retrouver le texte exact de Chrétien, ils se proposent « de présenter aux lecteurs un

texte plus proche de celui de Chrétien que de celui du copiste [Guiot] » (p. xxxi). L'édition se fonde en effet de nouveau sur le manuscrit Guiot, mais les deux chercheurs britanniques n'ont pas hésité à intervenir là où ils ont cru entendre les ipsissima verba de Chrétien à travers le chœur parfois confus des copistes. En employant la méthode de la base corrigée, St. Gregory et Cl. Luttrell ont émendé le manuscrit de Guiot environ mille cinq cents fois, c'est-à-dire une fois tous les quatre ou cinq vers. Travail peu à la mode, certes, mais courageux, délicat, et surtout discutable (au sens littéral du mot) : « [cette méthode] charge celui qui la pratique d'un grand nombre de problèmes, et toute décision faite par lui prête le flanc à la critique » (p. xxrx). C'est pourquoi chaque émendation (à l'exception des leçons isolées et rejetées du manuscrit de base) est l'objet d'une note et l'étendue des variantes permet au lecteur de faire un autre choix si cela lui semble préférable.

L'introduction comporte le genre de renseignements devenus traditionnels sur les manuscrits, la langue, le traitement du manuscrit de base, les éditions antérieures, etc. Le texte est soigneusement, voire impeccablement, présenté, avec un apparat de variantes en deux étages, et suivi de notes critiques (c'est-à-dire textuelles), une liste des lettres montantes, un index des noms propres, un glossaire, et une bibliographie.

Je n'ai guère de quoi critiquer cette édition, qui me semble être un modèle du genre, et qui satisfait à tous les égards. L'on aurait pu souhaiter un traitement plus approfondi de la langue de Chrétien, mais peut-être faudra-t-il attendre la publication d'éditions critiques de tous ses romans avant que cela soit vraiment possible. Cette édition du Cligés de Chrétien a été préparée avec autant de rigueur scientifique que de réflexion et sera désormais l'édition de référence. Nous sommes tous redevables à St. Gregory et à Cl. Luttrell d'avoir accompli une tâche aussi lourde et difficile. Espérons qu'elle ne restera pas ingrate.

Keith Busby.