REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE

N° 81 oct.-nov.-dec. 1987, 55-62

CULTURES LYCEENNES

par Régine BOYER, Monique DELCLAUX Annick BOUNOURE

En 1962, E. Morin (1) se demandait si l'opposition des générations ne devenait pas une des oppositions majeures de la vie sociale, si la différence entre le jeune et le vieil ouvrier n'était pas plus grande qu'entre le jeune ouvrier et l'étudiant. Cette interrogation s'appuyait sur un double constat : celui d'une part de l'émergence d'une tierce culture issue de la presse, du cinéma, de la radio, de la TV prenant place à côté des cultures classiques, humanistes et religieuses, celui d'autre part de la

tution d'une classe d'âge adolescente affirmant ses propres valeurs et définissant ses manières de vivre. Les relations entre culture de masse et classe des jeunes apparaissaient circulaires ; la culture de masse acculture les nouvelles générations en lui fournissant héros et modèles de vie, celles-ci l'orientent en lui faisant promouvoir les valeurs juvéniles, toutefois émoussées ou intégrées dans des « harmonies standardisées ».

Cette problématique, pourtant ancienne, constitue une toile de fonds explicite ou implicite aux débats répétés sur l'existence d'une culture adolescente transclassiste. La proposition n'est pas simple puisqu'elle implique qu'un système culturel propre puisse être imputé à un groupe construit sur l'appartenance à la même classe d'âge. Quelle peut être l'autonomie de ce système par rapport aux autres cultures : culture de masse, nationale, régionale, ethnique, de classe, classique, humaniste... ? Comment sont définies les bornes de cette classe d'âge ? L'utilisation du critère d'âge — critère biologique — n'exprime-t-elle pas improprement la position dans la structure sociale et les rapports sociaux d'une catégorie ? Si la particularité de la jeunesse est la fréquentation de plus en plus longue du système scolaire et la non-accession à certains attributs de la maturité (2), telle l'installation professionnelle et matrimoniale, peut-on poser l'universalité dans toutes les classes sociales des calendriers et modes d'accès à la maturité ? Autrement dit, quelle est la légitimité d'un regroupement des 18 ans, par exemple, qu'ils soient sans emploi, jeunes travailleurs, lycéens ou étudiants, vivant chez leurs parents ou indépendamment, seuls ou en cohabitation ?.

L'enquête nationale récente dont nous allons présenter certains résultats (3) s'inscrit dans ce champ de questions. Elle tente d'appréhender les comportements culturels d'une catégorie de jeunes définie non seulement par son âge mais aussi par sa position dans un niveau précis du système scolaire ; ce sont les lycéens. Elle s'attache à situer leurs pratiques en les comparant à celles de l'ensemble de la population française adulte et à celles des 15-19 ans non scolarisés (4). Peut-on identifier une culture lycéenne, dans quels rapports à la culture classique, à la culture de masse, aux cultures de classe ? Précisons pour mémoire que sur 100 enfants entrant en 6e, 41 arrivent en classe de seconde (enseignement long), 18 en première année de BEP et 13 en troisième année de CAP, niveau équivalent du cursus de l'enseignement technique court (5).

Présentation de l'enquête

Les comportements culturels des lycéens sont abordés sous un angle limité. Plus précisément, nous proposions aux enquêtes, une liste de pratiques de loisirs

55