Éric Brian
L'œil de la science incessamment ouvert
Trois variantes de Pobjectivisme statistique
Des projets de Condorcet relatifs aux dénombrements de la population au militantisme statistique de Quetelet, on peut tracer le cheminement d'un vœu récurrent qui exprime la nécessité, pour le savant engagé dans l'application du calcul à la science de l'homme, d'établir au préalable une collecte empirique large et systématique. Je voudrais examiner les variations de ce thème, en les rapportant aux transformations institutionnelles qui leur sont contemporaines. On examinera donc les modalités de la persistance d'une telle conception objectiviste, depuis la fin de l'Ancien Régime jusqu'au milieu du XIXe siècle \
1. Condorcet vers 1774.
Quand Condorcet prend en main le secrétariat de l'Académie royale des sciences, il est vu par ses confrères adversaires de sa nomination (Borda, Bailly, et les proches de Buffon) comme l'agent de l'infiltration de l'encyclopédisme dans la Compagnie. Quelques mois plus tard, une cabale prendra corps, contrecoup de la nomination de Turgot au ministère, les opposants voyant cette fois le jeune secrétaire-adjoint non seulement comme le disciple de d'Alembert et la plume occasionnelle de Voltaire, mais surtout comme l'œil et la main du nouveau ministre réformateur 2. En fait, si les géomètres de l'Académie confortaient effectivement leur contrôle sur l'institution, Condorcet lui-même allait s'engager dans une entreprise de reformulation de l'académisme mathématique qui devait aboutir à la création d'une rubrique « Analyse » parmi les mémoires publiés par la Compagnie. Sous cet en-tête devait paraître, de 1774 à 1785, un cor-
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