Sergeij Kavtaradzé *
Le « chronotope » de la culture stalinienne
C'est souvent aux questions les plus simples qu'il est le plus difficile de répondre. Encore faut-il savoir les poser. Cette remarque concerne notamment l'architecture soviétique et tout particulièrement l'architecture si spécifique des années 30-50.
Qu'est-ce donc qui obligeait les architectes soviétiques à s'emparer avec un tel acharnement de l'« héritage historique » à une époque où, dans le monde entier, s'imposait déjà un style international ?
Pourquoi cet héritage revêtait-il immanquablement les aspects du classicisme, en s'appuyant sur les règles de l'architecture antique ?
Pourquoi aucun des nombreux projets romantiques de l'époque de la guerre qui, autrement plus audacieux, se référaient à toutes sortes d'autres styles (de l'Egypte antique à la sainte Rousa) ne fut-il jamais exécuté ?
Pourquoi la lutte contre le cosmopolitisme a-t-elle porté aux nues un franc-maçon comme Bajenov6 et n'a-t-elle pas orné les façades des monuments staliniens de décorations baroques « à la Narychkine » (XVIIIe siècle), ou bien dans le style de l'architecture russe des XIIe- XVIe siècles ? (Il y a bien sûr quelques exceptions, qui ne font que confirmer la règle.)
Pourquoi, enfin, le classicisme stalinien (il faudrait plutôt dire le style « Empire »), tout en restant fidèle à lui-même, s'est-il éloigné au début des années 50 de cette « noble simplicité », de cette « sereine grandeur », pour tomber dans une exaltation baroque, quand ce n'est pas gothique ?
C'est aux deux premières questions que l'on répond le plus souvent. L'explication la plus simple, c'est l'argumentation par la « négative » :
* Historien de l'art, spécialiste de l'architecture soviétique, Moscou.
a. Ancien nom de la Russie (NdT).
b. Architecte russe baroque, grande figure de la franc-maçonnerie russe du xvm* siècle (NdT).
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