Jean-Noël Kapferer
Le contrôle des rumeurs
Expériences et réflexions sur le démenti
Étudier l'anti-rumeur, les moyens de mettre fin à une rumeur, ne répond pas uniquement à un intérêt pragmatique, tourné vers l'action. Paradoxalement, on peut dire que l'anti-rumeur est à l'origine des bonds en avant faits dans la compréhension du phénomène de rumeur. Les premières recherches empiriques sur la rumeur, celles des chercheurs américains G. Allport, L. Postman (1), R. Knapp (11), ont été stimulées par le souhait du Département d'État à la Défense de mieux contrôler les innombrables rumeurs courant pendant la Seconde Guerre mondiale sur la situation exacte des Alliés sur les fronts japonais ou européen. Faute de connaître avec précision (pour des raisons de secret militaire) cette situation, le public américain était à l'affût du moindre bruit venant percer le silence et le mystère, colportant des informations alarmistes qui ne manquaient pas de susciter l'émoi des parents des boys envoyés sur le front.
En 1969, c'est pour contrôler et mettre fin à une rumeur secouant Orléans que le Fonds social juif unifié sollicita une équipe de sociologues réputés (13) et leur offrit les moyens de mener des recherches empiriques sur le terrain. En 1980, c'est pour faire cesser la diffusion d'un tract faussement attribué à l'hôpital de Villejuif - centre réputé de la recherche sur le cancer - que furent entrepris les premiers travaux sur la circulation et la pénétration de cette forme écrite de rumeur (8).
Le lien étroit unissant l'anti-rumeur et la recherche sur la rumeur est logique. A la différence du chercheur sur les mass media qui bénéficie désormais de bibliothèques et de vidéothèques lui permettant d'étudier le matériau de son choix (par exemple, les informations télévisées en 1968), le chercheur en matière de rumeurs doit être prévenu de l'existence d'une rumeur pour pouvoir l'étudier pendant qu'elle vit et se déroule. La rumeur doit être étudiée pen-
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