Jean-Marie Schaeffer

Variations faustiennes

Dans Mon Faust de Valéry, l'illustre docteur et charlatan se plaint : « On a tant écrit sur moi que je ne sais plus qui je suis l. » Le jugement s'applique aussi aux commentaires qui lui ont été consacrés : tout, sinon davantage, a été dit sur la littérature faustienne. La seule petite excuse que je me vois, c'est que je ne m'intéresse pas directement au thème faustien, mais uniquement à quelques-uns de ses avatars génériques.

Pour commencer, je voudrais proposer une distinction entre « sujet » et « thème ». Elle est purement ad hoc et ne prétend à aucune portée théorique ni originalité. Par « sujet », je désignerai l'ensemble des événements et des faits (fictifs ou réels) décrits par un texte ou un ensemble de textes. J'admettrai comme critère d'identité transtextuelle l'identité du nom propre auquel sont rapportés ces faits et événements. Deux textes ne devront donc pas nécessairement partager tous les faits et événements décrits pour faire partie du même sujet. Ils peuvent même comporter des faits qui seraient incompatibles à l'intérieur d'un même texte, par exemple la damnation de Faust ou au contraire son salut. Par « thème », j'entendrai toute proposition actantielle ou herméneutique à portée générale, capable de sélectionner des segments textuels équivalents dans une classe de textes donnée. Je dirai dans ce cas qu'un texte exemplifie un ou des thèmes.

Les deux termes ne coïncident pas nécessairement du point de vue extensionnel : ainsi Doktor Faustus, de Thomas Mann, exemplifie le thème de Faust sans être une réalisation du sujet de Faust. A l'inverse, les diverses réalisations du sujet faustien n'exemplifient pas nécessairement le même thème. Il me semble en effet préférable de répartir l'ensemble de la littérature faustienne en deux thèmes. Le premier est celui de la damnation de l'homme orgueilleux et désespérant de l'omnipuissance de la grâce divine 2. C'est le thème originairement exemplifie par le sujet faustien : nous le trouvons dans YHistoria, donc dans le texte instaurateur de toute la tradition, chez Marlowe et sans

159