ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 1992 Société de Démographie Historique - E.H.E.S.S. Paris, 1992
LA QUESTION DE LA POPULATION
DANS LES MOUVEMENTS POLITIQUES DE LA RUSSIE
DE LA FIN DU XIXe AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE
par Serge AD AMETS
Introduction
L'interaction entre politique de population et idéologie en URSS avait déjà été examinée dans la thèse de Doctorat d'Etat de Michel Lavigne en 1981, intitulée "Idéologie et démographie", dans laquelle une section et un paragraphe étaient consacrés à l'évolution de l'idéologie politique et de la démographie dans les années 1920-1930. L'auteur a présenté une étude des évolutions simultanées du régime politique et des idées sur la population en URSS tout en démontrant une forte corrélation entre eux. Nous citons un extrait du texte de la thèse :
"En peu d'années, de 1920 à 1936, tous les acquis de la Révolution furent remis en cause, et l'on passa d'une situation réellement libératrice à l'oppression la plus dure... La politique démographique poursuivie nia résolument les droits de l'individu pour affirmer la prééminence de l'Etat (50 : 297)... L'Etat soviétique... de plus en plus autoritaire, n'était davantage prêt à tolérer la moindre atteinte au potentiel démographique, la moindre liberté contraire aux normes de l'Etat (50 : 305)."
Tout en observant les évolutions comparées dans les autres pays d'Europe à la même époque, il arrive à une conclusion révélatrice mais en même temps discutable : "Le totalitarisme stalinien... reproduisait des schémas à peu près identiques à ceux des totalitarismes fasciste et nazi" (50 : 297). Ce qui est vrai pour l'évolution des systèmes politiques dans l'optique transversale est contestable au niveau historique (ou longitudinal) de l'évolution des droits civils. L'échec de la politique émancipatrice des années 1917-1924 (libéralisation de la législation sur le mariage, le divorce, la morale sexuelle, liberté de l'avortement) annoncé dans la presse et les mass média dès le début des années 1930 ne reflétait pas une simple réponse des structures bureaucratiques aux évolutions idéologiques. Il y avait des raisons plus profondes et souvent non dites, mais importantes dans la prise des décisions. La politique émancipatrice a conduit à des évolutions contraires aux espoirs des classes intellectuelles formées avant la Révolution. L'instabilité des couples, la progression de la prostitution et des maladies vénériennes, la croissance des avortements, du nombre des enfants abandonnés constituent des évolutions observées et critiquées tout au long des années 1920-1930. D'autre part, la population n'était pas prête à adopter la nouvelle morale émancipatrice sans tomber dans des dérèglements sérieux des institutions familiales et des structures démographiques. Ainsi, les changements dans la politique démographique des années 1930 voulaient remettre en place l'évolutionnisme des transformations et des transitions démographiques troublées à la suite de la Révolution.
