ANNALES DE DEMOGRAPHIE HISTORIQUE 1995, p. 137 à 148
LA REPRODUCTION DE LA POPULATION
AUX XVIIe, XVIIIe et XIXe SIÈCLES. EXEMPLES FRANÇAIS ET QUÉBÉCOIS
par Alain BIDEAU, Guy BRUNET, Bertrand DESJARDINS, Michel PROST
La reproduction d'une population est la résultante d'un ensemble de facteurs, notamment d'ordre démographique, biologique, historique, ou socio-économique. Il s'agit donc d'un processus complexe et multifactoriel, que l'on a l'habitude d'étudier en fonction des préoccupations de l'une ou l'autre des disciplines correspondant à ces facteurs. Notre objectif est d'élargir cette perspective, dans une démarche essentiellement quantitative, en réunissant autour d'une approche démographique des observations qui concernent aussi bien des historiens que des généticiens de population, dont les travaux des uns sont trop souvent ignorés des autres, et réciproquement.
De nombreux historiens se sont penchés récemment sur la reproduction de la population, notamment sous l'angle de la transmission du patrimoine et des modes de succession (Bonnain et al., 1992). Cette approche historique et économique est riche d'enseignements. Elle n'est pas exempte d'aspects démographiques, puisqu'elle met en rapport des individus de générations différentes, appelées à se succéder sur le même terroir. En fonction du mode de dévolution de l'héritage (égalitaire ou inegalitaire), le nombre d'enfants pouvant rester sur la terre et constituer une famille varie. Encore faut-il tenir compte d'autres facteurs tels que le revenu minimum tiré de l'exploitation pour autoriser le maintien sur place d'un certain effectif d'enfants.
Les généticiens, par ailleurs, ont développé la notion d'enfant utile, et elle constitue une éclairage intéressant sur la reproduction des populations au fil des générations. Est considéré comme enfant utile, tout individu qui se reproduit, et dont la descendance se maintient, au sein de la population observée. Cette notion correspond à une approche généalogique, et permet d'étudier la transmission du patrimoine génétique. Pour des raisons pratiques, nous considérons dans ce travail comme enfant utile un individu qui participe à la constitution de la génération suivante. Nous ajoutons en outre une notion géographique en nous intéressant aux enfants utiles "sur place", c'est-à-dire ceux qui participent à la constitution de la génération suivante dans le même cadre géographique, celui des villages dont nous étudions l'évolution du peuplement. De fait cette notion d'enfant utile intéresse au plus haut point les historiens-démographes. Elle synthétise plusieurs paramètres démographiques: fécondité, mortalité, nuptialité, mobilité. En effet un "enfant utile sur place" est un enfant qui a survécu à la mortalité infantile et juvénile, qui s'est marié, et qui a eu des enfants nés sur place. Nous essaierons de mesurer ici quelle est la proportion des enfants qui
