LA PÉDAGOGIE
N'EST PLUS CE QU'ELLE ÉTAIT
par Henri Dieuzeide
Ce n'est pas dans les projets de réforme ou les recommandations de comités d'experts (dont les mérites conjoncturels sont par ailleurs indéniables) qu'il faut espérer identifier les mouvements de fond et les lentes dérives probablement. irréversibles qui ont caractérisé, ces dernières années, la vie de l'énorme masse des enseignants et d'enseignés au travail au sein de la société française (aujourd'hui, on compte quinze millions de jeunes dans les établissements d'enseignement, et plus de trois millions d'adultes bénéficient chaque année de la formation continue, les uns et les autres enseignés et guidés par près d'un million d'éducateurs et de formateurs).
L'évolution de la pédagogie en France, comme d'ailleurs à peu près partout dans les pays industrialisés, est profondément marquée par la grande crise de 1967-1968. Il faut rappeler que le Mai étudiant, cette « secousse de l'histoire », a été en grande partie engendré par la formidable expansion des systèmes éducatifs depuis la dernière guerre mondiale : il y avait en 1968 vingt-cinq fois plus d'élèves dans les écoles françaises qu'en 1939. Cette expansion, qui s'était traduite essentiellement par une expansion linéaire des systèmes existants et une massification systématique des méthodes traditionnelles, conduisait inévitablement à la catastrophe, et il n'y avait guère d'esprit averti qui ne se préparât à une nécessaire révolution pédagogique dans les années 1970. Or, après mai 1968, celle-ci n'a pas eu lieu là où on l'attendait. On l'attendait du côté de nouvelles technologies (programmation, audiovisuel, et télévision en particulier, information, etc.), et c'est au nom d'une exigence accrue de communication qu'elle a eu lieu. On annonçait et parfois redoutait le règne du psychologue programmateur du savoir, et c'est le sociologue, animateur de groupe, qui a pris le pouvoir.
Il est trop tôt pour dire si la réflexion et les pratiques qui se sont développées depuis mai 68 marquent une avancée extrême
