victor karady
LES
Le sens commun et l'historiographie savante s'accordent à reconnaître dans la Belle Epoque «l'âge d'or» du corps professoral. S'appuyant sur des analyses de la condition sociale et de la position de classe, les principales elaborations du thème décrivent une conjoncture historique qui n'aurait pas duré au-delà de la Grande Guerre et aurait été marquée par une montée sans précédent des enseignants du supérieur et du secondaire au sein des élites dirigeantes de la première phase de la Troisième République. On évoque à juste titre dans ce contexte l'importance idéologique qu'a prise la réforme des institutions scolaires et universitaires, le poids proprement politique accordé aux enseignants dans cette guerre civile virtuelle qui
DELA REPUBLIQUE
le marche scolaire, les reformes universitaires et les transformations de la fonction professorale a la fin du 19e siècle
a opposé les «deux France» tout au long de cette période, l'expansion du dispositif scolaire qui a multiplié les postes disponibles et, grâce aux bourses, transformé la carrière professorale en une filière familière d'ascension sociale pour certaines franges de la petite bourgeoisie, voire des milieux populaires, ou encore, plus banalement, l'amélioration financière de la condition universitaire. Quels que soient les malentendus auxquels ces elaborations peuvent prêter et les ambiguïtés qu'elles recouvrent dans la réalité historique - malentendus et ambiguïtés dont la recherche récente a fait sur plusieurs points, justice (1) — l'hypothèse n'en paraît pas moins confirmée que les enseignants du secteur public ont parcouru un long trajet de mobilité collective dans l'échelle des classes.
Le propos de cet article n'est pas de revenir sur cette hypothèse mais d'en explorer une dimension, jusqu'ici occultée, touchant aux conditions mêmes d'exercice de la fonction professorale dont l'évolution devait l'essentiel de sa prégnance à un triple réaménagement du marché social de l'ensei-' gnement secondaire et supérieur. Il s'agit, premièrement, du développement (ou, dans l'enseignement supérieur, de la menace de développement) de la scolarisation catholique aux dépens du secteur public, de la réorganisation, en second lieu, des voies d'accès à la profession d'enseignant, enfin, de la restructuration du marché universitaire de l'emploi, ayant pour effet un changement profond des conditions de compétition pour les postes à pourvoir. La question qu'on se pose ici revient en somme à ceci : dans quelle mesure la restructuration du marché de l'enseignement, du corps des spécialistes qui s'y
1— Le livre récent de George Weisz peut servir de guide sûr et remarquablement informé sur l'historiographie et l'histoire sociale des réformes universitaires et de la condition d'enseignant (surtout en ce qui concerne l'enseignement supérieur) dans la première période de la Troisième République. Cf. G. Weisz, The Emergence of Modem Universities in France, 1863-1914, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1983. Voir aussi A. Prost, Histoire de l'enseignement en France, 1888-1967, Paris, A. Colin, 1967 et F. K. Ringer, Education and Society in Modem Europe, Bloomington, Indiana University press, 1979, surtout pp. 113-205. Sur le secteur scientifique, la meilleure vue d'ensemble est présentée in R. Fox et G. Weisz, eds, The Organisation of Science and Technology in France, 1 808-1 91 4, Cambridge, Cambridge University Press et Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1980, surtout pp. 1-28.
