André Pessel

De la conversation chez les précieuses

On fera ici l'hypothèse qu'il s'organise, dans la préciosité, de façon quasi clandestine, des prises de parti théoriques qui échappent à l'histoire de la seule littérature.

La pratique de la conversation, telle qu'elle est recueillie puis transcrite, a pu définir le lieu, la forme et la limite de ce parti pris.

C'est dans le texte de l'abbé de Pure, la Prétieuse ou le Mystère des ruelles, dédié à telle qui n'y pense pas, publié en 1656 1, qu'on a trouvé l'occasion principale de la vérification de cette hypothèse.

La ruelle, entre le poêle et le cachot.

"J'étais alors en Allemagne... Le commencement de l'hiver m'arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertît, et n'ayant d'ailleurs, par bonheur, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j'avais tout loisir de m'entretenir de mes pensées."

Mais c'est un autre type de clôture qu'il faut apprendre ici à définir. Et la ruelle d'Eulalie, celle qui sait bien parler, sera le lieu d'une sorte de résistance à bon nombre de thèmes cartésiens.

Dans la ruelle, comme lieu de la conversation, s'organise une dévotion, un culte dont la femme est à la fois le prêtre et le dieu, la médiation et la transcendance. La parole y est d'abord une fête, un exercice spirituel qui fait plaisir, un rituel sans directeur de conscience. L'abbé d'Aubignac, dans Histoire du temps ou Relation du royaume de coquetterie (1654), en décrit l'utopie: "La place royale [...] est environnée d'une infinité de réduits où se tiennent les plus notables assemblées de Coquetterie et qui sont autant de temples magnifiques consacrés aux nouvelles divinités du pays; car, au milieu d'un grand nombre de portiques, vestibules, galeries, cellules et cabinets richement ornés, on trouve toujours un lieu respecté comme un sanctuaire où sur un autel fait à la façon de ces lits sacrés des dieux du paganisme, on trouve une Dame exposée aux yeux du public, quelquefois belle et toujours parée; quelquefois sage et toujours suffisante; et là viennent à ses pieds les plus illustres de cette cour, pour y brûler leur encens, offrir leurs vœux et solliciter sa faveur envers l'amour coquet, pour en obtenir, l'entrée du palais des Bonnes Fortunes" (p. 327).

Ce rite a son rythme propre. C'est l'après-midi, puisque la matinée était consacrée à la toilette. "Comme il y a des sénats où l'on ne juge