Médiévales 28, printemps 1995, pp. 53-78 Mathieu ARNOUX
UN VENITIEN AU MONT-SAINT-MICHEL :
ANASTASE, MOINE, ERMITE ET CONFESSEUR
(t VERS 1085)
Anastase n'a guère suscité la curiosité des historiens. Malgré l'estime et l'amitié que lui portèrent Anselme du Bec ou Hugues de Semur, il est resté dans leur ombre, et on ne cite sa Vita, le plus souvent, que pour déplorer son imprécision au sujet des amis d'Anas- tase. Bienheureux obscur, sa réputation posthume de thaumaturge ne dépassa pas les limites de Saint-Martin d'Oydes, et les huguenots y mirent fin en dispersant ses reliques. C'est dans le presbytère de cette paroisse proche de Toulouse que l'évêque de Rieux découvrit dans les dernières années du XVIIe siècle un manuscrit de la Vita Anastasi dont il procura une copie à Mabillon1. Ce récit sans apprêt écrit par le clerc Gautier à l'intention de Pierre, sous-diacre de l'église d'Oydes, et de son frère Bernard date des premières années du XIIe siècle2. L'absence de repères chronologiques précis a découragé les érudits,
1. Bibliotheca hagiographica latina (BHL) n. 405-406, éd. Mabillon, Ada Sanctorum Ordinis Sancti Benedicti, VI/II, p. 487 ; rééd. par les Bollandistes, Acta Sanctorum, Oct. VII, 1136-1139, et Migne, Patrologie Latine, t. 149, col. 423-434; la notice de YHistoire littéraire de la France (t. 8, pp. 162-167) reprend les informations rassemblées par Mabillon, tandis que celles du Dictionnaire d Histoire et de Géographie ecclésiastiques (t. 2, col. 1469) et de l'encyclopédie Catholicisme (t. 1, p. 514) n'ajoutent aucune précision au dossier très argumenté constitué par les Bollandistes dans leur commentaire à la Vita (t. cit. pp. 1125-1136). On peut aussi se passer du résumé très éloigné de la Vita proposé par P. Golinelli : « Negotiosus in causa eccle- siae. Santi e Santità nello scontro tra impero e papato da Gregorio VII a Urbano II », dans Les Fonctions des saints dans le monde occidental, Rome, 1991 (Collection de l'ÉFR, t. 149), pp. 259-284, aux pages 276-277. 2. Les Bollandistes en situent la rédaction entre la mort d'Hugues de Semur, en 1109, et sa béatification, en 1120 : op. cit., p. 1125 ; on est tenté, à l'appui de cette datation, de rapprocher les destinataires de la Vita, Petrus Deuotensis ecclesie subdia- conus et Bernardus f rater eius, des témoins d'une donation faite à la fin du xie siècle dans la paroisse de Saint-Martin d'Oydes, Petrus de Doidas et Guillelmus frater eius et Benardus, Cartulaire de l'abbaye de Lézat, éd. P. Ourliac et A.-M. Magnou (collection de documents inédits, série in-8°, t. 18, 2 vol., 1984-1987), t. 1, p. 15, n° 14
