Médiévales 18, printemps 1990, p. 17-32 Mathieu ARNOUX
PERCEPTION ET EXPLOITATION D'UN ESPACE FORESTIER : LA FORÊT DE BRETEUIL (XIe-XVe SIÈCLES)
L'importance de la forêt dans l'espace vécu des hommes du Moyen Age a été depuis longtemps reconnue par les historiens. La sylva, horizon du terroir villageois est aussi la haie-frontière, la marche, lieu des confrontations entre puissants, limite du territoire étranger, forain1. Élément du paysage rural, de la géographie physique et politique des pays d'Occident, l'espace forestier est aussi l'un des lieux essentiels de sa topographie symbolique : lieu de divagation héroïque où la rencontre sur des chemins de traverse de l'ermite et du chevalier errant est l'un des moments obligés du parcours chevaleresque2. Le pouvoir royal lui-même s'éprouve dans les chemins creux où Charles VI laisse sa raison3, et où Louis XI, chasseur infatigable, épuise de chevauchées interminables les ambassadeurs milanais4.
La forêt n'a pas pour autant suscité de recherches étendues, et les quelques pages lumineuses consacrées par M. Bloch à ce sujet5 restent actuellement sans écho dans la production des médiévistes qui continuent, campés au centre des clairières de défrichement, à « regarder les arbres », ignorant en partie la vie de ces hommes « qui vivaient aux bois »6. Les études d'histoire rurale, celles consacrées à l'occupation du sol continuent à décrire régions et terroirs en laissant de
1. Sur les liens entre forêt et frontière, cf. J.F. Lemarignier, Recherches sur l'hommage en marche et les frontières féodales, (Travaux et mémoires de l'Université de Lille, nouvelle série, Droit et Lettres), Lille, 1945. 2. Il faut évidemment revenir aux analyses désormais classiques de J. Le Goff dans La civilisation de l'Occident médiéval, Paris, 1977, pp. 169-171. 3. Froissart, Les chroniques, in Historiens et chroniqueurs du Moyen Age, éd. A. Pauphilet, Paris, 1952, pp. 905-907. 4. P.M. Kendall, Louis XI, Paris, 1974, p. 121. 5. M. Bloch, Les caractères originaux de l'histoire rurale française, t. I, 1952, pp. 6-9. 6. J'emprunte les deux expressions au remarquable livre d'A. Corvol, L'homme aux bois. Histoire des relations de l'homme et de la forêt fxvw-xx' siècles).