Alfred Willener et Guy Milliard
L'avide vidéo de groupe
1. Pourquoi la vidéo ?
« Faites des progrès avec la vidéo », dit la publicité d'un fabricant de magnétoscopes, et elle montre un boxeur tuméfié se revoyant au combat ; l'entraîneur commente. C'est une vidéo de contrôle, avec un analyste. « II faut repartir tout de suite quand on tombe de cheval, ou quand on prend un direct. Alors vous repartez. C'est logique : vous faites deux fois la même erreur, donc vous tombez deux fois. Recommençons : vous tombez, vous revoyez votre erreur. Vous la corrigez. Et vous ne retombez pas parce que maintenant vous savez pourquoi vous êtes tombé. »
Des cours de formation pour instituteurs, pour cadres, des mises au point dans les partis politiques, des reportages faits par et pour la police, tous et beaucoup d'autres pratiquent désormais la vidéo de contrôle, avec ou sans analyste, en présence ou non des gens filmés. Le moyen de reproduction qu'est l'enregistrement — on le sait depuis la photo d'identité — peut servir à reproduire socio- logiquement.
Or, nous chercherons à présenter une autre vidéo. Parler vidéo de groupe invite à suggérer le potentiel de cet instrument une fois qu'il n'est plus employé « à vide », quand il est inséré dans un processus de développement, et non de simple socialisation, voire d'embrigadement ou de répression : il n'y a pas que la re-vidéo de contrôle ; la vidéo de processus se prête non seulement à l'hétéro- mais encore et surtout à l'autogestion du contrôle. La vidéo participe alors à une curieuse émulation, devenant un important chaînon, une sorte de tiers — vide à remplir, plein à dévider : interface d'une avidité ; elle reste un instrument, certes, mais c'est d'un tiers activant, sinon actif, dont il s'agit.
Loin de nous l'idée qu'un instrument, même une technologie élaborée, ne puisse être utilisée de bien des manières. Elle est instrument, elle sera donc rendue instrumentale (au sens sociologique) dans des pratiques de style divers et à des fins fort contraires (Police, Black Panthers). Toutefois, comme les chercheurs tendent à le reconnaître de plus en plus, « une machine, c'est de l'esprit cristallisé » (geronnener Geist, dans une expression surprenante et peu connue de Marx) ; une technologie, un certain appareillage de communication, contiennent déjà fort largement un esprit donné d'utilisation, un rapport social 1.
1. Pour un développement sophistiqué de l'argument (la TV, c'est un medium centralisé, quoi qu'il en soit de ses modalités d'utilisation), voir Baudrillard, « Requiem pour les media », in : Critique de l'économie politique du signe, Gallimard, 1972, p. 200-228.
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