François Bourlière
Structures sociales des populations de mammifères sauvages
Vingt ans de recherches sur le comportement et l'écologie des mammifères, dans leur milieu naturel comme en laboratoire, ont profondément changé les conceptions « classiques » sur la vie sociale du groupe zoologique auquel nous appartenons. Il est devenu impossible actuellement de se contenter des simplifications caricaturales qui trouvent encore trop souvent place dans les ouvrages de vulgarisation, ou d'accepter certaines hypothèses simplistes sur l'origine et l'évolution de 1' « attraction sociale ». La masse d'observations dont nous disposons, et qui porte sur des espèces représentatives de la majorité des ordres et familles de mammifères actuels, permet désormais de se faire une idée de la variété et de la richesse des comportements sociaux de nos parents plus ou moins lointains, et de discerner quelques grandes tendances qu'il appartiendra aux recherches futures de préciser ou de modifier.
Avant de rappeler brièvement certains des points les plus solidement acquis, quelques remarques générales s'imposent. Tout essai de reconstitution de l'évolution des comportements sociaux chez les mammifères repose forcément sur l'étude des formes actuellement vivantes : les sociétés animales ne laissent guère de traces fossiles de leur structure. Or les mammifères actuels ne représentent qu'un faible pourcentage et un échantillon certainement non représentatif des formes qui se sont succédées depuis la fin des temps mésozoïques. George Simpson estimait déjà en 1945 que 54 % des familles et 67 % des genres ne sont connus qu'à l'état fossile; depuis lors, ces pourcentages ont encore augmenté. Qui plus-est, deux sous-classes sur quatre sont depuis longtemps éteintes, tout comme l'une des trois infraclasses de mammifères placentaires. Parmi ces derniers, douze des vingt-huit ordres connus n'ont plus de représentants vivants. La faune mammalienne qui survit de nos jours ne représente donc que le reliquat, très partiel et très appauvri, d'un ensemble beaucoup plus riche. L'évolution a certainement « essayé », au cours des 200 derniers millions d'années, toute une série de comportements qui nous resteront à jamais inconnus. L'étonnant est que, parmi les survivants de cette longue aventure, l'éventail des structures sociales soit encore si vaste. On ne peut s'empêcher de penser que la nature a dû répéter plusieurs fois les mêmes expériences, dans des lignées différentes, ce qui réduit la marge d'invraisemblance de certaines hypothèses. Par ailleurs, dans certains des ordres qui ont survécu jusqu'à nos jours, persistent des groupes dont la morphologie est très voisine de celle de leurs lointains ancêtres. Ces formes ont, de ce fait, été qualifiées de primitives et leur comportement est souvent considéré implicitement comme analogue à celui de leurs prédécesseurs
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