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taxinomies sociales et luttes de classes
la mobilisation dé la classe mojenné et l'invention des cadres"
Dans les œuvres antérieures aux années 30 environ, romans, pièces de théâtre, etc., on ne trouve pas trace des «cadres». Ils ne sont pas représentés. Ils sont absents aussi des recensements statistiques, où ils ne figureront qu'après guerre (1). Le droit les ignore. Aucune organisation ne s'en réclame. Face à ce vide de la représentation et des nomenclatures, des images et des mots, la pratique scientifique se laisse souvent enfermer entre deux positions contradictoires : faire «comme si» le groupe avait «existé» de tous temps, mais dans le silence de l'objectivité ou, comme par erreur (n'y a-t-il pas un «retard» des «nomenclatures» sur le «réel» ?), sous d'autres noms. C'est la tentation à laquelle succombe parfois l'histoire quantitative trop pressée d'obtenir coûte que coûte et, le plus souvent, au prix de manipulations diverses, des séries statistiques homogènes. Ou, à l'opposé, faire «comme si» l'«existence» du groupe datait du jour où est institué le nom qui le désigne en propre et où se sont forgés les instruments de sa représentation et de son dénombrement.
On voudrait tenter d'échapper ici à cette alternative en analysant la conjoncture historique dans laquelle les «cadres» se sont formés en groupe explicite, doté d'un nom, d'organisations, de porte-parole, de systèmes de représentations et de valeurs. Intention elle-même subordonnée à la nécessité de rompre avec la conception substan- tialiste des groupes sociaux qui, en nombre de cas, sous-tend, au moins implicitement, la sociologie des groupes professionnels : au lieu de chercher à déterminer les «critères» au moyen desquels le groupe «doit» être défini et les «frontières» qu'il «faut» lui donner pour obtenir un objet palpable et bien délimité (ce qui revient le plus souvent à
1— Cf. A. Desrosières, «Éléments pour l'histoire des nomenclatures socio-professionnelles», in Pour une histoire de la statistique, INSEE, Paris, 1977, pp. 155-232.
enraciner le groupe dans l'ordre de la pure détermination technique et de la division technique du travail (2)), on tentera de rendre compte de la forme prise par le groupe en interrogeant le travail de regroupement , d'inclusion et d'exclusion, dont il est le produit. On espère échapper par là à l'illusion de l'intemporalité comme à la fascination du «nouveau» : la référence au «nouveau» dont use et abuse la sociologie lorsqu'elle parle, par exemple, des «nouvelles classes» —«nouvelles classes moyennes» ou «nouvelle classe ouvrière» — a pour inconvénient principal de contribuer à la naturalisation de l'objet qu'elle désigne. Produit d'un «surgissement», d'une «mutation», d'une «mouvance» obscure, bref, sorti de rien, le groupe appelle alors les explications d'allure essentialiste . Or, ce n'est que dans des cas rares et, plus précisément, dans les situations proprement révolutionnaires, dans la guerre civile, que des groupes apparaissent et disparaissent, avec armes et bagages (3). A ces cas marqués par des ruptures nettes et datées, il faut opposer ceux, plus nombreux, où l'apparition d'un groupe «nouveau» est le produit d'un réarrangement structural de longue durée s'exerçant à la fois sur les propriétés objectives et sur les représentations (4). Des groupes pré-
2— La conception substantialiste est aussi à mi-chemin entre l'entreprise juridique —par laquelle sont institués des principes officiels de classement— et l'entreprise scientifique — construction du champ des instruments concurrents de classement— «l'art social» et la «science sociale», comme disait Mauss. (Cf. M. Mauss, «Divisions et proportions des divisions de la sociologie», Œuvres, Paris, Editions de Minuit, 1969, t. 3, pp. 233-237).
3— Cf. par exemple, M. Ferro, «La naissance du système bureaucratique en URSS», Annales, n° 2, 1976, pp. 243-267. 4— Cf. P. Bourdieu, L. Boltanski, M. de Saint Martin, «Les stratégies de reconversion, les classes sociales et le système d'enseignement», Information sur les sciences sociales, 12, (5), pp. 61-113.
