lue boltanski

AMERICA AMERICA

le plan marshall et 1 importation du management

années 1960 (1). La découverte de l'Amérique domine alors la vie intellectuelle et sociale française et les interrogations qui l'accompagnent sont loin d'avoir seulement pour enjeu l'alliance militaire ou l'aide économique. Ou, plus précisément, les questions économiques et militaires sont, de façon très explicite, subordonnées à une question plus fondamentale qui est celle de la «nature» de la «société française» comparée à la «société américaine», c'est-à-dire, indissociablement, de son régime poli-

L'histoire des rapports entre la France et les Etats- Unis dans les années qui suivent la deuxième guerre mondiale a surtout porté jusqu'ici, qu'il s'agisse de travaux américains ou de travaux français, d'études savantes ou de «témoignages», sur les relations diplomatiques et militaires et sur les relations financières. Toujours politiquement marqué, toujours polémique, le débat qui s'est instauré en France sur 1'« américanisation», surtout au milieu des années 1960 lorsque la France quitte l'Alliance atlantique et que de Gaulle s'oppose au rachat de certaines entreprises françaises par des entreprises américaines, puis autour de mai 1968 et à l'occasion de la guerre du Vietnam, a fonctionné comme une sorte de test projectif où les différents groupes investissaient une représentation partielle et partiale de l'Amérique définie de façon implicite par référence à la position qui était la leur dans la structure sociale indigène et par référence aux intérêts qui lui étaient liés. A chacun sa «bonne» et sa «mauvaise» Amérique et l'on pourrait par exemple montrer que la critique de la guerre du Vietnam et de 1'« impérialisme» a contribué aussi, à travers la célébration du mouvement hippie des sit-in et des protest songs, à la diffusion d'une image enchantée des Etats-Unis.

Dans ces débats ambigus, une période de l'histoire culturelle récente semble un peu oubliée ou refoulée, qui va de la Libération au début des

tique et de sa structure sociale, de ses techniques de gestion économique, de ses modes de contrôle social et de règlement des conflits sociaux. Comment expliquer la dominance américaine, que peut- on apprendre de l'Amérique, à quoi faut-il renoncer, que faut-il adopter ou importer ?

Ce sont ces interrogations que l'on voudrait évoquer rapidement, en centrant l'enquête sur la gestion des entreprises et, plus précisément encore, sur la problématique sociale qui se constitue dans les années 1950 à propos de la nature du personnel de direction et d'«encadrement». Qui doit diriger ? Comment recruter, former, contrôler le personnel d'encadrement pour qu'il soit à la fois «efficace» et toléré par la classe ouvrière ?