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La QPC : 5 ans déjà, et toujours aucune prescription en vue

Christine MAUGUE - Conseiller d'État, Présidente adjointe de la Section de l'administration

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 47 (dossier : 5 ans de QPC) - avril 2015 - p. 11 à 26

« J’ose affirmer que la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est sans nul doute l’une des réformes les plus importantes de ces dernières décennies. Elle constitue, comme l’a fort justement fait remarquer Jean-Louis Debré, “la principale avancée des droits et des libertés dans notre pays depuis l’abolition de la peine de mort” », déclarait Christiane Féral-Schuhl, alors bâtonnier de Paris, lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale par l’Ordre des avocats de Paris à l’occasion du troisième anniversaire de l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité(1).

Deux ans plus tard, ce constat reste à l’évidence d’actualité. On en voudra pour preuve le fait que la baisse du nombre des QPC soulevées que beaucoup d’observateurs attendaient une fois que le stock des questions de constitutionnalité en réserve aurait été purgé n’a toujours pas eu lieu. Les avocats et les justiciables continuent de soulever des questions de constitutionnalité et à utiliser une procédure dont ils sont convaincus de l’utilité. Mais on observe en même temps qu’après le foisonnement d’ouvrages, d’articles, de chroniques, de notes de jurisprudence et de colloques qui lui ont été consacrés lors de son entrée en vigueur et des premières années de son application, la littérature juridique sur la QPC s’est sensiblement tarie. La doctrine n’écrit plus guère sur le sujet, au-delà du commentaire de telle ou telle décision individuelle importante ou de chroniques juridiques. Signe d’une banalisation de la procédure, qui est remarquablement vite entrée dans les mœurs juridiques.

Cinq années après l’entrée en vigueur de la réforme, on peut faire le constat suivant : la QPC est une procédure dont l’intérêt ne se dément pas (I) ; elle a conduit à de profondes évolutions de l’office du juge administratif, du juge judiciaire et du juge constitutionnel (II) ; tout en se banalisant, elle a conduit à d’importantes évolutions du droit positif (III).

I – La QPC : une procédure dont l’intérêt ne se dément pas

1. Bilan quantitatif

La procédure de la QPC, qui était très attendue, a rencontré un vif succès auprès des justiciables dès son introduction. L’ensemble des acteurs concernés avait consenti un important effort de préparation si bien que le dispositif a pu être très vite amorcé. Dès le jour de l’entrée en vigueur du dispositif, le 1er mars 2010, le Conseil d’État et la Cour de cassation étaient saisis de questions prioritaires de constitutionnalité. Ils ont procédé dès les mois d’avril et de mai aux premiers renvois vers le Conseil constitutionnel, après instruction contradictoire. Et le Conseil constitutionnel s’est prononcé de son côté dès le 28 mai 2010 sur les deux premières QPC(2).

Ce démarrage rapide n’a pour autant conduit ni à une mise en œuvre systématique devant les juridictions ordinaires, ni, par suite, à une embolisation du Conseil constitutionnel. Les juridictions du filtre ont joué un rôle efficace en la matière, épaulées par les juridictions de premier ressort et d’appel.

Après l’engouement des premiers mois, on a pu observer une diminution du nombre des QPC soulevées. Mais cette diminution, nette en 2012, ne s’est pas poursuivie : il y a en effet eu une stabilisation du nombre des décisions et procédures intentées, légèrement en dessous du niveau atteint en 2012.

Ce constat concerne d’abord les QPC traitées par le Conseil d’État et la Cour de cassation, que ce soit sur saisine directe ou sur renvoi d’une juridiction du premier ou du second degré : après avoir atteint 618 en 2011, leur nombre est passé à 460 en 2012, 363 en 2013 et 426 en 2014.

Il concerne également les QPC transmises au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État et la Cour de cassation (114 en 2011, 74 en 2012, 74 en 2013 et 84 en 2014) et, par voie de conséquence, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel : après un pic de 110 décisions en 2011, le nombre de décisions est descendu à 74 en 2012, 66 en 2013 et 67 en 2014.

En chiffres cumulés, le Conseil constitutionnel avait été saisi au 31 décembre 2014 de 456 QPC et avait rendu 381 décisions QPC (la différence entre ces deux chiffres tient principalement au fait que le Conseil constitutionnel a joint à un certain nombre de reprises les QPC renvoyées, qui portaient sur les mêmes dispositions). Le nombre des décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel au 31 décembre 2014 représentait plus de la moitié du nombre total des décisions DC rendues depuis la création du Conseil constitutionnel (rapporté aux 704 décisions DC rendues au 31 décembre 2014, le pourcentage des décisions QPC est très exactement de 54,12 %).

Le nombre des QPC soulevées reste donc significatif, sans que cela ait pour autant d’incidence sur les saisines parlementaires dans le cadre du contrôle a priori puisque celles-ci sont même un peu plus nombreuses qu’avant l’entrée en vigueur de la QPC. Si le rythme actuel se poursuit, les courbes des décisions QPC et des décisions DC devraient se croiser d’ici 5 ans. Mais ce phénomène sera-t-il durable ? Il n’est pas exclu que l’on assiste à moyen terme à une diminution significative du nombre de QPC posées. Il reste qu’en l’état actuel des choses rien ne permet d’annoncer cette baisse avec certitude.

2. Répartition des décisions rendues

Les décisions rendues par les juridictions du filtre sont majoritairement des décisions de non-renvoi. Depuis l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité le 1er mars 2010 jusqu’au 31 décembre 2014, le Conseil d’État et la Cour de cassation ont statué à 2313 reprises sur des QPC et leurs décisions se répartissent en 1856 décisions de non-renvoi (soit 80,3 %) et 456 décisions de transmission au Conseil constitutionnel (soit 19,7 %).

Sur les décisions de non-renvoi, 633 proviennent du Conseil d’État et 1 223 de la Cour de cassation. Les décisions de renvoi émanent quant à elles à part à peu près égale des deux juridictions : 202 du Conseil d’État et 255 de la Cour de cassation. Le Conseil d’État est proportionnellement davantage enclin à renvoyer que la Cour de cassation, même si, sur la période récente, l’ordre de grandeur des questions renvoyées au Conseil constitutionnel s’est rapproché (en 2014, il était, dans les deux juridictions, de 19,5 %, soit une question sur 5). La chambre criminelle de la Cour de cassation, qui traite 60 % des QPC dont est saisie la Cour, est il est vrai encombrée de QPC posées en matière pénale à finalité principalement dilatoire, ce qui explique son taux plus élevé de décisions de non-renvoi.

En ce qui concerne les décisions rendues par le Conseil constitutionnel, au nombre de 381 au 31 décembre 2014, elles se répartissent ainsi : 54,3 % de décisions de conformité, 11,7 % de conformité sous réserve, 19,4 % de non-conformité totale, 8,6 % de non-conformité partielle, 4,9 % de non-lieux et 1,1 % de décisions relatives à des aspects de procédure (dont la décision de renvoi d’une question préjudicielle à la CJUE : déc. n° 2013-314P QPC, sur laquelle on reviendra ci-dessous).

On observe, enfin, une forte concentration des matières dans lesquelles sont posées des QPC.

Les dispositions annulées depuis le 1er mars 2010 concernent ainsi de manière très majoritaire le droit pénal ou la procédure pénale : sur 145 décisions censurant une disposition, 62 ont trait à cette matière. D’autres matières ressortent également, mais de façon quantitativement moins marquée : 13 décisions concernent le droit de l’environnement(3), 11 décisions le droit processuel (hors pénal)(4), 11 décisions le droit fiscal(5), 5 décisions la santé publique. Les autres décisions de censure ont trait à des domaines variés : droit économique, droit des procédures collectives, droit des pensions, droit électoral, droit de la famille, droit de la fonction publique, etc.

Cela ne signifie pas que la répartition par matière des QPC soulevées devant les juges ordinaires soit identique. Le principal pourvoyeur des QPC reste ainsi, devant le juge administratif, le contentieux fiscal, avec en 2014 31 % des QPC déposées en première instance et 24,5 % des QPC en appel. Ces chiffres indiquent seulement les matières sur lesquelles portent les QPC transmises au Conseil constitutionnel et ayant donné lieu à une décision de non-conformité du juge constitutionnel.

II – La QPC a conduit à de profondes évolutions de l’office du juge administratif, du juge judiciaire et du juge constitutionnel

L’introduction de la QPC a conduit tant les juges ordinaires que les juridictions suprêmes des deux ordres juridictionnels et le Conseil constitutionnel à intégrer cette nouvelle procédure.

1. Une adaptation aux délais

Les efforts les plus importants ont pesé en ce domaine sur les cours suprêmes et sur le Conseil constitutionnel. Les juridictions du premier et du second degré ne sont en effet pas tenues de se prononcer dans un délai déterminé impératif. Cependant même si aucun texte ne leur impose un délai préfix, ces juridictions doivent malgré tout se prononcer « sans délai » sur les QPC soulevées devant elles. Il reste qu’on ne dispose pas de données sur le délai de traitement des QPC par les premiers juges.

Le Conseil d’État comme la Cour de cassation ont un délai de trois mois, fixé par l’article 23-7 de la loi organique du 10 décembre 2009, pour se prononcer à peine de renvoi automatique au Conseil constitutionnel. Ces juridictions y parviennent avec succès puisqu’il existe à ce jour un seul cas de renvoi automatique dans chaque ordre de juridiction : à la Cour de cassation, à la suite d’une erreur d’enregistrement du greffe de la juridiction (Cons. const., déc. n° 2011-206 QPC du 16 décembre 2011), au Conseil d’État à la suite de la transmission par un tribunal administratif, au titre de la compétence du Conseil d’État pour connaître de l’affaire, d’une requête dans laquelle une QPC avait été déposée (Cons. const., déc. n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012).

Pour le Conseil constitutionnel, le délai de jugement a lui aussi été fixé à trois mois par le législateur organique. Aucune sanction n’est cependant attachée à la méconnaissance éventuelle de ce délai. On observe que le délai moyen de jugement des QPC par le Conseil constitutionnel est de 70 jours. Le délai minimal a été de 13 jours et le délai maximal de 92 jours. Pour la QPC n° 2013-314 QPC du 14 juin 2013, le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne a prolongé exceptionnellement le délai de 16 jours.

2. L’appropriation de la Constitution par l’ensemble des juridictions

La réforme constitutionnelle de 2008, en instituant un mécanisme de contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois se greffant sur le cours des procès engagés devant les juridictions administratives et judiciaires, visait à rééquilibrer la pyramide normative et à restituer à la Constitution et aux normes constitutionnelles une place centrale dans les normes de référence de l’ordre juridique français. Cette place était en effet jusqu’alors occultée par le très fort développement du contrôle de conventionnalité de la loi à partir des années 1990, auquel avaient contribué les caractéristiques du contrôle de constitutionnalité a priori et l’impossibilité de contester la constitutionnalité de la loi à l’occasion de son application, une fois celle-ci promulguée.

La mise en œuvre de la QPC a effectivement conduit à un mouvement de diffusion des normes constitutionnelles auprès des juridictions ordinaires. Les caractères du nouveau mécanisme ont été de puissants leviers dans cette voie : le schéma de contrôle retenu, reposant sur des questions préjudicielles examinées par les juges ordinaires et transmises à la juridiction constitutionnelle, était, parmi les différents modes possibles de contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois, le mieux à même d’associer l’ensemble du monde juridique à l’exercice du contrôle de constitutionnalité.

Ont également œuvré en ce sens l’effet abrogatif erga omnes donné aux déclarations d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel, qui a contribué à rendre le mécanisme attractif pour les requérants et à inciter les justiciables à s’emparer du nouveau dispositif, ainsi que la rapidité de traitement des questions prioritaires de constitutionnalité, dans le délai prévu par la loi constitutionnelle et fixé à trois mois par la loi organique du 10 décembre 2009. Incitant les requérants à s’emparer du nouveau dispositif, ces caractères ont conduit les juridictions ordinaires comme les juridictions suprêmes à jouer le jeu du mécanisme constitutionnel.

3. Un dialogue renouvelé entre les ordres de juridiction

La mise en œuvre de la QPC a été l’occasion d’un approfondissement du dialogue des juges. Ce constat ressort de l’évidence pour ce qui concerne les relations entre le Conseil d’État et la Cour de cassation d’un côté, et le Conseil constitutionnel de l’autre côté. Mais il vaut aussi pour les relations entre Conseil d’État et Cour de cassation. Chargées toutes les deux d’appliquer les mêmes dispositions, les deux juridictions suprêmes ont été confrontées à des difficultés semblables d’interprétation du mécanisme nouvellement entré en vigueur. Parfois même, ce sont des questions identiques qui se sont trouvées posées simultanément aux deux juridictions (par exemple QPC identiques dirigées contre l’article L 621-15 du code monétaire et financier, qui ont donné lieu à des décisions simultanées de non-renvoi : Cass., 8 juillet 2010, arrêts n° 12.137 à 12.140, et CE, 16 juillet 2010, M. Beslay, n° 321056 ; détermination de la portée à donner à la décision du Conseil constitutionnel ayant déclaré non-conforme avec effet abrogatif immédiat le dispositif transitoire prévoyant que la disposition législative dite « anti-Perruche » était d’application immédiate dans les instances en cours : Cons. const., déc. n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010). On peut observer que les deux juridictions ont été attentives à la position prise par l’autre ordre et ont veillé à éviter des divergences de jurisprudence, qui n’ont été qu’exceptionnelles et faites en toute connaissance de cause. Indépendamment de la coïncidence chronologique des questions posées, chacune des juridictions suprêmes est vigilante aux positions prises par l’autre.

Au-delà de ces acteurs quotidiens de la QPC, la nouvelle procédure a également parfois conduit à étendre le dialogue des juges au juge européen. La Cour de justice de l’Union européenne s’est trouvée incluse dans ce dialogue à au moins deux reprises, sur renvoi la première fois de la Cour de cassation et la seconde du Conseil constitutionnel.

Dès l’introduction de la QPC, la question de l’articulation du mécanisme prioritaire de contrôle de constitutionnalité par voie d’exception avec le droit communautaire a provoqué des tensions entre les juridictions, entre avril et juin 2010, qui se sont manifestées après que la Cour de cassation, saisie d’une QPC, eut décidé, par un arrêt du 16 avril 2010 (Cass., QPC n° 10-40.002), de saisir la CJUE d’une question préjudicielle portant sur la compatibilité du caractère prioritaire de la QPC avec les exigences du droit de l’Union. Dans cette affaire, la Cour de Luxembourg s’est prononcée en urgence sur le renvoi préjudiciel de la Cour de cassation, par un arrêt du 22 juin 2010 rendu en formation de grande chambre (CJUE, 22 juin 2010, Aziz Melki et Selim, aff. jointes C-188/10 et C-6189/10). La réception de cette décision par la Cour de cassation (Ass.plén., 29 juin 2010, nos 10-40.001 et 10-40.002) a donné lieu à de nombreuses critiques. Par la suite, des décisions successives ont entendu apaiser les tensions potentielles pouvant naître de la rencontre du caractère prioritaire de la QPC et de l’effet utile et de l’efficacité du droit européen : CE, 8 octobre 2010, M. Daoudi, Rec. p. 371, et Cons. const., déc. n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010, concernant une QPC dirigée contre une loi ayant transposé une directive.

Trois ans plus tard, une QPC a été à l’origine de la première question préjudicielle posée par le Conseil constitutionnel à la Cour de justice de l’Union européenne. L’occasion d’un tel renvoi, qui n’allait institutionnellement pas de soi, a été fournie par une QPC, renvoyée par la Cour de cassation, portant sur le mandat d’arrêt européen. Le Conseil constitutionnel a, pour la première fois de son histoire, interrogé la CJUE sur l’interprétation de la décision-cadre du 13 juin 2002 instituant le mandat d’arrêt européen, pour pouvoir exercer le contrôle de la conformité d’une disposition législative du code de procédure pénale aux droits et libertés garantis par la Constitution : Cons. const., 4 avril 2013, n° 2013-314P QPC, Jérémy F. Le cadre constitutionnel spécifique applicable au mandat d’arrêt européen, spécialement cité par l’article 88-2 de la Constitution qui dispose : « La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les institutions de l’Union européenne », explique cette solution. Dans l’attente de la décision de la CJUE, à laquelle il a été demandé de statuer selon la procédure d’urgence, le Conseil constitutionnel a sursis à statuer. La CJUE s’est prononcée quelques semaines plus tard (CJUE, 30 mai 2013, aff. C-168/13) et le Conseil constitutionnel a statué peu après sur la question de constitutionnalité posée (déc. du 14 juin 2013, n° 2013-314 QPC).

4. Une évolution du contrôle de constitutionnalité

Le contrôle de constitutionnalité a posteriori demeure fortement marqué par l’héritage du contrôle a priori. Ce nouveau dispositif présente cependant des caractéristiques susceptibles de renouveler substantiellement l’exercice du contrôle de constitutionnalité, qui s’effectuait jusque-là immédiatement après le débat parlementaire, sur des réformes d’actualité, et à l’initiative d’autorités politiques.

Ceci résulte de plusieurs facteurs qui se conjuguent : ouverture du cercle des personnes susceptibles de saisir le Conseil constitutionnel, publicité des audiences et diffusion des enregistrements des audiences sur le site Internet du Conseil, net accroissement du nombre des dispositions législatives contestées, possibilité de faire contrôler des lois anciennes, y compris des lois antérieures à 1958(6), prise en compte par le Conseil constitutionnel des conditions d’application de la loi et prise en compte, également, de l’interprétation de la loi par les juridictions chargées de la mettre en œuvre. Ceci résulte, également, de l’extension notable des pouvoirs du Conseil constitutionnel statuant dans le cadre de la QPC : choix laissé au Conseil de la date d’effet de sa déclaration d’inconstitutionnalité, possibilité de déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause, pouvoir d’injonction implicite au législateur, pouvoir d’immixtion dans les procédures juridictionnelles.

En contribuant de façon complémentaire au respect des exigences constitutionnelles, l’action conjuguée de ces deux modes de contrôle de constitutionnalité est évidemment un puissant facteur d’enrichissement de la jurisprudence constitutionnelle. Mais elle est également susceptible de conduire à une forme de spécialisation des contrôles en raison des différences importantes qu’ils présentent sur un certain nombre de points. Le contrôle de constitutionnalité par voie d’action a ainsi, par exemple, un monopole sur les questions de procédure législative, qui ne peuvent être invoquées dans le cadre d’une QPC. De la même façon, le contrôle du respect des principes de droit budgétaire ou de ceux applicables au financement de la sécurité sociale ne peut être assuré que dans le cadre du contrôle a priori.

La combinaison de ces contrôles n’est pas non plus sans avoir des répercussions, déjà perceptibles, sur les modalités d’exercice du contrôle a priori. En témoigne par exemple l’évolution des techniques de rédaction des décisions du Conseil constitutionnel statuant par voie d’action : le Conseil a cessé de déclarer conforme à la Constitution, dans le dispositif de ses décisions, les dispositions contre lesquelles seul un grief tenant à la procédure législative est soulevé, réservant ainsi la voie à une contestation de ces dispositions par d’éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité (voir par exemple la déc. n° 2012-654 DC du 9 août 2012 sur la loi de finances rectificative pour 2012) ; la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les saisies blanches a de même évolué : faute de griefs, la loi est déclarée conforme à la Constitution dans le dispositif de la décision sans avoir été spécialement examinée dans ses motifs, ce qui ne ferme pas la voie à une éventuelle QPC (déc. n° 2011-630 DC du 26 mai 2011). En témoigne aussi le fait que le Conseil constitutionnel ait indiqué, dans une décision DC dans laquelle, conduit à examiner en application de la jurisprudence Nouvelle-Calédonie (déc. n° 85-187 DC du 25 janvier 1985) la constitutionnalité d’une disposition déjà promulguée, il concluait à la non-conformité de cette disposition, que cette déclaration d’inconstitutionnalité prenait effet à compter de la publication de sa décision et n’affectait pas les contrats en cours (déc. n° 2013-672 DC du 13 août 2013, considérant 14) : le Conseil constitutionnel se montre tenté de faire usage, dans le cadre du contrôle a priori, du pouvoir, qui lui reconnaît le second alinéa de l’article 62-2 de la Constitution dans le cadre de la QPC, de définir les limites et effets de ses décisions.

III - La procédure, tout en se banalisant, a conduit à d’importantes évolutions du droit positif

1. La procédure de la QPC s’est banalisée, même si certaines questions sont complexes

On peut parler d’une banalisation de la procédure de la QPC en ce sens que la plupart des questions de procédure et de fond importantes ont été jugées, et ce dès les premiers mois ou premières années de mise en œuvre de la réforme.

Le grand nombre des QPC soulevées a en effet permis au Conseil d’État, à la Cour de cassation et au Conseil constitutionnel de trancher rapidement les principales questions que posait cette nouvelle procédure : qui peut soulever une QPC, quand et comment ? quel est le champ d’application du nouveau mécanisme ? quelles sont les normes invocables ? quelle appréciation avoir des conditions de renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel ? Ces aspects sont bien connus et on ne reviendra pas dessus dans le cadre de cet article.

Certaines questions se sont cependant avérées plus complexes. Les plus délicates ont incontestablement eu trait à l’effet dans le temps et aux conséquences des décisions d’abrogation. Il est significatif que le site Internet du Conseil constitutionnel ait consacré récemment une chronique « A la une » à ce sujet (septembre 2014 : Les effets dans le temps de la QPC), alors que la QPC avait cessé depuis plusieurs mois d’être évoquée dans cette rubrique. La jurisprudence s’est progressivement précisée et affinée, non sans parfois certains tâtonnements.

En application de l’article 62 de la Constitution, les effets dans le temps des décisions d’abrogation sont définis par le Conseil constitutionnel : face à une disposition jugée inconstitutionnelle, le Conseil peut en prononcer l’abrogation immédiate ou à compter d’une date ultérieure fixée par sa décision ; il peut également déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.

Sur 103 décisions de non-conformité à la Constitution rendues depuis l’entrée en vigueur de la QPC, le Conseil constitutionnel a prononcé 33 abrogations à effet différé et 70 abrogations à effet immédiat. Une déclaration d’inconstitutionnalité emporte donc le plus souvent l’abrogation immédiate des dispositions législatives concernées, mais il en va différemment dans approximativement 30 % des cas.

Même si l’article 62 de la Constitution n’établit pas de priorité entre abrogation immédiate et abrogation à effet différé, le fait que le Conseil constitutionnel s’abstienne de toute motivation de ses décisions de non-conformité en tant qu’elles prononcent une abrogation à effet immédiat et motive seulement, pour l’application de l’article 62 de la Constitution, les décisions qui décident d’une abrogation à effet différé montrent que pour le juge constitutionnel l’abrogation à effet immédiat est la norme et le report dans le temps l’exception.

Au vu de la motivation des décisions de non-conformité à effet différé, on constate que deux séries de considérations conduisent le Conseil constitutionnel à décider le report dans le temps de l’effet abrogatif de la loi : les unes tiennent aux conséquences manifestement excessives pour l’ordre public ou la sécurité publique qu’aurait une abrogation immédiate(7), les autres à la latitude laissée au législateur pour tirer les conséquences de l’inconstitutionnalité, sur laquelle le Conseil veille à ne pas empiéter(8). Ces deux justifications peuvent parfois se combiner : ainsi, dans sa décision n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014, le Conseil a relevé que « d’une part, la remise en cause des effets produits par les dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait des conséquences manifestement excessives ; que, d’autre part, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement ». Il en a déduit qu’« il y a lieu de reporter au 1er janvier 2015 la date de l’abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution afin de permettre au législateur d’apprécier les suites qu’il convient de donner à cette déclaration d’inconstitutionnalité ». Il reste que dans plus de deux tiers des cas, le Conseil constitutionnel décide que les déclarations de non-conformité qu’il prononce doivent entraîner l’abrogation immédiate des dispositions en cause.

La question de la remise en cause des effets qu’a produits une disposition déclarée inconstitutionnelle et du sort des litiges relatifs à l’application de cette même disposition s’avère complexe, ainsi que l’illustrent la jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle des juridictions ordinaires.

Le principe, énoncé expressément par le Conseil constitutionnel à compter de ses deux décisions du 25 mars 2011 (nos 2010-108 QPC et 2010-110 QPC), est qu’en cas de déclaration d’inconstitutionnalité, celle-ci doit bénéficier à l’auteur de la question et s’appliquer aux instances en cours. Il s’agit de la préservation de l’effet dit utile de la QPC pour les instances en cours. Mais le Conseil procède évidemment différemment selon qu’il prononce une abrogation à effet immédiat ou une abrogation à effet différé.

Lorsque le Conseil prononce une abrogation à effet immédiat, il précise le plus souvent que le bénéfice de cette décision est applicable aux instances en cours à la date de sa décision (déc. n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011). Afin de limiter les conséquences de l’inconstitutionnalité sur l’ordre juridique, le Conseil constitutionnel juge parfois non pas que l’inconstitutionnalité « est applicable » aux instances en cours, mais qu’elle « peut être invoquée » dans ces instances (déc. n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 et n° 2011-181 QPC du 13 octobre 2011) : seules les personnes qui se prévalent de l’inconstitutionnalité peuvent alors en bénéficier et il n’appartient pas au juge de la relever d’office. Dans la même logique, le Conseil peut également limiter les effets d’aubaine qui résulteraient de la déclaration d’inconstitutionnalité : il a ainsi réservé le bénéfice de l’inconstitutionnalité, s’agissant d’une disposition ancienne de droit de la nationalité qui n’est plus en vigueur depuis 1973, aux seules personnes à qui la disposition déclarée inconstitutionnelle a été appliquée (décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014).

Toutefois, le Conseil constitutionnel déroge au principe de l’effet utile de la QPC et juge que la déclaration d’inconstitutionnalité ne vaudra que pour l’avenir, sans remise en cause des effets passés, dans tous les cas où il estime que cet effet aurait des conséquences manifestement excessives. Rarement utilisée au début pour les décisions prononçant l’abrogation immédiate de dispositions non conformes à la Constitution, cette technique est aujourd’hui d’usage courant (voir par exemple les décisions nos 2012-286 QPC du 7 décembre 2012, 2013-352 QPC du 15 novembre 2013 et 2013-368 QPC du 7 mars 2014 à propos de dispositions législatives concernant les procédures collectives ; décisions n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013 et n° 2013-362 QPC du 6 février 2014 pour des dispositions fiscales ; décisions n° 2013-318 QPC du 7 juin 2013 et n° 2014-390 QPC du 11 avril 2014 en matière pénale ; décisions n 2013-336 QPC du 1er août 2013, n°°2014-396 QPC du 23 mai 2014, n° 2014-405 QPC du 20 juin 2014, n° 2014-410 QPC du 10 juillet 2014 dans des domaines divers). On trouve également des applications de cette jurisprudence à des décisions de conformité sous réserve : le Conseil constitutionnel a jugé qu’une réserve d’interprétation, comme telle d’application immédiate, ne vaudrait que pour les actes pris en application des dispositions législatives en cause accomplis postérieurement à la publication de la décision du Conseil constitutionnel (déc. n° 2010-62 QPC du 17 décembre 2010 et n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011). Le report de l’effet de l’abrogation est enfin systématique lorsque la date de l’abrogation est reportée dans le temps : en pareille hypothèse, le Conseil constitutionnel précise généralement que les actes ou les mesures qui ont été pris avant l’abrogation des dispositions contestées ne peuvent être remis en cause sur le fondement de cette inconstitutionnalité (ainsi en matière de règles de procédure, pénale ou douanière, afin d’éviter d’annuler des procédures (déc. n° 2010-14/22 QPC, n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014), en matière d’hospitalisation sans consentement (déc. n° 2010-32 QPC du 22 septembre 2010, n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 et n° 2011-135/140 du 9 juin 2011), en matière d’admission en qualité de pupille de l’État (déc. n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012), en matière financière (déc. n° 2014-397 QPC du 6 juin 2014) ou encore en matière d’incompétence négative (déc. n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011 ou n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014).

Lorsque le Conseil constitutionnel prononce une abrogation à effet différé, se pose également la question de la règle applicable pendant la période transitoire, entre la décision du Conseil et la date d’effet de l’abrogation. Dans les hypothèses où le report de l’effet de l’abrogation est justifié par les conséquences manifestement excessives ou contraires aux exigences constitutionnelles qu’aurait une abrogation immédiate, le Conseil choisit généralement de maintenir en application la disposition législative inconstitutionnelle (déc. n° 2014-387 QPC du 4 avril 2014).

Toutefois, afin de limiter les conséquences du report dans le temps de la censure et de concilier ce report avec l’objectif de préservation de l’effet utile de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a recours parfois à deux solutions :

– la première solution, mise en œuvre dès la QPC n° 1, consiste pour le Conseil à énoncer, d’une part, qu’il appartient aux juridictions saisies d’instances relatives à l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles de surseoir à statuer jusqu’à l’intervention de la loi remédiant à cette inconstitutionnalité et, d’autre part, que le législateur devra rendre cette loi applicable aux instances en cours à la date de la publication de la décision. Le Conseil constitutionnel a eu recours à cette solution à trois reprises : décisions n° 2010-1 QPC, n° 2010-83 QPC du 13 janvier 2011 et n° 2013-343 QPC du 27 septembre 2013. Cette solution est, toutefois, susceptible de poser une difficulté d’application aux juridictions administratives ou judiciaires si la loi remédiant à l’inconstitutionnalité n’intervient que postérieurement à la date fixée par le Conseil constitutionnel (cas qui s’est rencontré dans la QPC n° 2013-343) ;

– la seconde solution, plus récente et que le Conseil constitutionnel tend à privilégier, consiste à combiner une abrogation reportée dans le temps et une réserve d’interprétation transitoire neutralisant les effets inconstitutionnels de la disposition en cause jusqu’à son remplacement par une loi nouvelle. Elle a été mise en œuvre à ce jour à trois reprises : deux fois en matière d’égalité devant l’impôt et la loi fiscale (décisions n° 2014-400 QPC du 6 juin 2014 et n° 2014-404 QPC du 20 juin 2014), une troisième fois en matière de procédure pénale (décision n° 2014-4210/421 QPC du 9 octobre 2014).

Ces deux solutions ont pour effet de garantir aux requérants qu’ils pourront bénéficier des nouvelles dispositions législatives édictées d’ici le terme fixé, contrairement à ce qui se passe ordinairement lorsque l’abrogation d’une disposition est différée.

Pour les juridictions ordinaires, la détermination de la portée exacte de la portée d’une décision d’abrogation n’est pas non plus toujours simple.

En témoigne l’interprétation divergente qu’ont eue le Conseil d’État et la Cour de cassation de la portée à donner à la décision du Conseil constitutionnel abrogeant la disposition transitoire prévoyant l’application immédiate dans les instances en cours de la disposition législative dite « anti-Perruche » (déc. n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010). Dans cette décision, le Conseil a déclaré non-conforme avec effet abrogatif immédiat le dispositif transitoire prévoyant que ces dispositions étaient d’application immédiate dans les instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation (déc. n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010). Le Conseil d’État et la Cour de cassation ont donné des interprétations diamétralement opposées à cette décision : le Conseil d’État a estimé que l’application des nouvelles règles ne pouvait être écartée, pour les dommages survenus antérieurement à l’adoption de ce dispositif transitoire, que dans les litiges déjà engagés (CE, Ass., 13 avril 2011, Mme L., Rec. p. 235), alors que la Cour de cassation a jugé que les règles « anti-Perruche » n’étaient pas applicables aux dommages survenus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, qu’ils aient ou non déjà donné lieu à l’engagement d’une instance juridictionnelle (Cass. civ. I, 15 déc. 2011, Bull. 2011, I, n° 216). La difficulté de cette question résulte de ce que la censure du Conseil constitutionnel a porté non sur une disposition matérielle, mais sur un article relatif à la date d’entrée en vigueur d’un mécanisme d’indemnisation, et de ce que la décision du Conseil constitutionnel présente une certaine ambiguïté, en raison d’une discordance apparente entre les motifs et le dispositif de la décision.

Lorsque l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité est reporté dans le temps, les requérants continuent de se voir appliquer les dispositions qui ont été jugées méconnaître la Constitution, sauf à ce que le Conseil constitutionnel ait enjoint aux juridictions de surseoir à statuer dans les instances en cours jusqu’au terme fixé pour l’effet de l’abrogation ou prononcé une réserve d’interprétation transitoire. Cependant l’exercice du contrôle de conventionnalité peut perturber dans certains cas cet ordre des choses, en conduisant le juge a quo à écarter pour inconventionnalité les dispositions provisoirement maintenues en vigueur. Les arrêts du 15 avril 2011 de l’assemblée plénière de la Cour de cassation sur les effets dans le temps de l’inconventionnalité des dispositions relatives à la garde à vue en fournissent une illustration particulièrement nette.

Sur ces questions complexes, la jurisprudence s’est construite progressivement. Le Conseil constitutionnel a fait évoluer ses techniques de traitement du report des effets dans le temps des déclarations d’inconstitutionnalité. Le Conseil d’État et la Cour de cassation ont été confrontés à des questions souvent délicates, correspondant à des cas particuliers et n’appelant pas de réponse évidente.

2. La procédure est à l’origine de nombreuses réformes du droit positif

L’introduction du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception a permis un élargissement considérable du champ du contrôle de constitutionnalité. Cet élargissement tient à la fois à l’ouverture du cercle des personnes susceptibles de saisir le Conseil constitutionnel et à l’accroissement du nombre et du type des dispositions législatives contestées.

Il n’est dès lors guère surprenant de constater que la QPC est à l’origine de nombreuses évolutions du droit positif.

Un certain nombre de décisions d’importance ont été rendues par le Conseil constitutionnel, qui ont conduit très directement à des réformes législatives d’envergure sur des sujets majeurs. Relèvent incontestablement de cette catégorie les décisions relatives aux deux principaux régimes juridiques de privation de liberté, celui de la garde à vue (déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010) et celui de l’hospitalisation sans consentement (déc. n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010), ainsi que, même si elles concernent des dispositions plus ponctuelles, les nombreuses autres décisions d’annulation ou de réserve en matière de droit pénal ou de procédure pénale. En font également partie la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 imposant au législateur de mettre un terme définitif, sous sept mois, à la cristallisation des pensions des ressortissants des territoires anciennement sous souveraineté française et les décisions relatives à l’application de la Charte de l’environnement. Le fait que ces premières décisions soient intervenues rapidement après l’entrée en vigueur de la réforme témoigne de ce que les acteurs intéressés se sont immédiatement emparés du nouveau dispositif pour remettre en cause des pans de la législation française jugés obsolètes et non conformes aux standards actuels d’un État de droit. Ces décisions et les réformes subséquentes ont conduit à un réel progrès des droits et libertés en France.

De nombreuses autres décisions ont conduit à des censures constitutionnelles dans des domaines variés, qui n’étaient jusque-là que rarement concernés, en pratique, par l’application du droit constitutionnel. Ce faisant, le mécanisme de la QPC a conduit à ouvrir le champ à ce qu’il est coutume d’appeler la « micro-constitutionnalité », c’est-à-dire le traitement de questions constitutionnelles d’importance moindre, voire d’importance mineure. Tel a été le cas dans tous les domaines de la législation : droit de l’environnement, droit électoral, droit fiscal, droit des sociétés, droit du travail, droit de la santé, droit des autorités de régulation, etc.

La QPC joue ainsi incontestablement le rôle d’un accélérateur de l’évolution du droit positif français. Tel n’est pas le moindre des bienfaits de cette nouvelle procédure. Pour reprendre les propos conclusifs du Président Debré lors du colloque qui s’est tenu le 5 avril 2013 à l’Hôtel de Lassay, « La QPC fonctionne bien, parce qu’elle correspondait à un besoin : celui de la défense des droits et des libertés. Nous ne sommes plus simplement le pays des déclarations des droits, mais celui où, grâce à l’organisation juridictionnelle, les droits et les libertés sont véritablement protégés et défendus ».

(1) Les actes de ce colloque, organisé le 5 avril 2013 en marge de celui qui s’est tenu le même jour sur la QPC à l’initiative du président de l’Assemblée nationale à l’hôtel de Lassay et dont les actes ont été publiés dans la Semaine juridique, Édition générale, 15 juillet 2013, ont eux-mêmes été publiés dans les Annonces de la Seine, numéro 35, jeudi 28 août 2014.

(2) Décision n° 2010-1 QPC, Consorts L., et décision n° 2010-3 QPC, Union des familles en Europe.

(3) Décisions n° 2011-183/184 QPC, 2012-262 QPC, 2012-269 QPC, 2012-270 QPC, 2012-282 QPC, 2012-283QPC, 2013-317 QPC, 2013-395 QPC, 2013-396 QPC et 2014-411 QPC.

(4) Décisions n° 2010-10 QPC, 2011-147 QPC, 2011-200 QPC, 2011-203 QPC, 2011-211 QPC, 2011-213 QPC, 2011-218 QPC, 2012-250 QPC, 2013-331 QPC, 2013-350 QPC, 2013-352 QPC, 2013-357 QPC, 2013-368 QPC et 2013-372 QPC.

(5) Décisions n° 2010-52 QPC, 2010-72/75/82 QPC, 2010-78 QPC, 2010-88 QPC, 2010-97 QPC, 2012-298 QPC, 2013-323 QPC, 2013-351 QPC, 2013-362 QPC, 2014-400 QPC et 2014-404 QPC.

(6) La décision n° 2014-429 QPC du 21 novembre 2014 a ainsi conduit le Conseil constitutionnel à contrôler une disposition relative au droit de présentation des notaires qui figurait dans une loi de 1816.

(7) Ainsi, dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil a relevé que « l’abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ». Dans sa décision n° 2010-45 QPC du 6 octobre 2010, le Conseil a considéré qu’« eu égard au nombre de noms de domaine qui ont été attribués en application des dispositions de l’article L. 45 du code des postes et des communications électroniques, l’abrogation immédiate de cet article aurait, pour la sécurité juridique, des conséquences manifestement excessives ».

(8) Dans sa décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, le Conseil a jugé que « l’abrogation de l’article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite aura pour effet, en faisant disparaître l’inconstitutionnalité constatée, de supprimer les droits reconnus aux orphelins par cet article ; que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement ; que, par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2012 la date de l’abrogation de cet article afin de permettre au législateur d’apprécier les suites qu’il convient de donner à cette déclaration d’inconstitutionnalité ».