Étude stylistique des apostrophes
adressées aux personnages féminins
dans les romans de Chrétien de Troyes
A la lecture des romans de Chrétien de Troyes, on est frappé par l'importance accordée aux dialogues et, partant, aux termes en apostrophe. Ceux-ci, très variés grâce à la richesse du vocabulaire de l'auteur, diffèrent considérablement, d'une part selon l'identité des interlocuteurs et, d'autre part, selon la nuance affective ou sociale qu'ils expriment. C'est ainsi que bêle, amie, pucele ou dameisele ne présentent pas la même valeur dans la bouche d'un roi ou dans celle d'un chevalier. On ne saurait en effet confondre l'estime du souverain, l'affabilité d'une demoiselle, l'amitié d'un chevalier, l'hospitalité d'un vavasseur et la serviabilité d'un écuyer lorsque chacun de ces personnages converse avec une jeune fille. De même, Chrétien n'use pas indifféremment des termes chevaliers ou vassax, par exemple; mais le présent article a été strictement limité aux apostrophes destinées à des personnages féminins.
A l'exception des cas où l'étude de l'apostrophe amplifiée est indissociable de celle du substantif qu'elle contient, nous avons d'abord examiné le mot seul, puis son développement par un, deux et parfois même trois adjectifs épithètes. Nous avons jugé utile de présenter des tableaux récapitulatifs où les exemples sont classés suivant l'identité des interlocuteurs, les valeurs affectives ou sociales prises par les termes et enfin d'après la fréquence de leur emploi dans chacun des romans où ils apparaissent1. Nous n'avons pas cru devoir écarter de notre enquête Guillaume d'Angleterre dont l'attribution à Chrétien de Troyes demeure cependant incertaine, comme l'a établi M. J. Frappier : « Le doute reste permis. Il est possible que Chrétien se montre inférieur à lui-même ou se soit contenté d'écrire une pochade. Pourtant il paraît plus probable que Guillaume d' Angleterre est l'œuvre d'un épigone, imitateur assez doué et adroit, mais fort éloigné de posséder le talent et le faire du maître »2.
1. Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, Paris, 1962 (« Class. franv- moy. àgc »). Référence abrégée = G. — Érec et Énidc, M. Roques, Paris, 1963 (« Ibid. ><). Référence abrégée = E. — Cligès, éd. A. Micha, Paris, 1965 (« Ibid. », 1965). Référence = Cl. — Le Chevalier de la Cliarrete, éd. M. Roques, Paris, 1965 (« Ibid. »). Référence abrégée = Char. — Le Clievalier au lion (Yvain), éd. M. Roques, Paris, i960 (« Ibid. »). Référence abrégée = Y. -— Le Roman de Percerai ou le Conte du graal, éd. W. Roach, 1959, (« Textes littéraires français »). Référence abrégée = P.
2. J. Frappier, Chrétien de Troyes, Paris, 1957 (« Connaissance des lettres », 50), p. 84.
Pucele
Lorsqu'un personnage s'adresse à une jeune fille, il a le choix entre diverses apostrophes : pucele, dameisele, bêle, amie. Nous nous proposons tout d'abord de discerner l'intention ou de déterminer les circonstances qui lui font préférer l'emploi de pucele à celui de dameisele.
Un premier exemple, dans lequel le terme de pucele est adressé par des vilains à une absente, peu éloignée du reste, laisse apparaître une valeur affective franchement défavorable.
P. 6752 ... « Cent deable fardent, 6753 Pucele, qui tant as mal fait... >
Des gens rassemblés dans un jardin maudissent la Demoiselle Orgueilleuse dont Gauvain vient chercher le palefroi. Bien que la jeune femme dont ils parlent soit noble, ils n'emploient pas le terme dameisele. En
éd. abrégée Genève/Paris,
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