S. VANNI ROVIGHI
Notes sur l'influence de saint Anselme au XIIe siècle
(suite et fin)
III - La présence du « Proslogion »
La doctrine la plus célèbre de saint Anselme, l'argument du Proslogion pour démontrer l'existence de Dieu, semble être celle qui a tardé le plus à manifester son influence. Le Proslogion est certainement lu au xne siècle : Honorius Augustodunensis l'a lu, saint Bernard dans le De consideratione68 définit Dieu : Quo nihil melius cogitari potest, et nous verrons surtout l'influence du Proslogion chez Isaac de l'Étoile, mais on ne parle pas de l'argument fondé sur cette définition de Dieu, du moins explicitement.
M. J. Chatillon a repris récemment le problème de cette ignorance et a répondu : « On serait plutôt porté à croire que les auteurs du xne siècle ont été un peu déconcertés par l'originalité de l'argument anselmien et qu'ils ont donc hésité aussi bien à l'utiliser qu'à le critiquer69. » Peut-être l'objection de Gaunilon les laissait-ils un peu incertains sur sa valeur. Même le fidèle Honorius Augustodunensis n'en parle pas.
Mais, si le Proslogion n'a pas eu d'influence quant à son fameux argument, il a eu au moins comme type de recherche, comme genre littéraire, si je puis employer cette expression, un certain retentissement chez Honorius et surtout chez Isaac de l'Étoile, dans les sermons XIX à XXVI. Ces sermons ont déjà fait l'objet d'une étude de F. Bliemetzrieder70 : je pense pourtant qu'il vaut la peine d'en reprendre l'examen du point de vue de l'influence anselmienne.
Avant tout, présentons le Proslogion, qui ne se réduit pas au seul fameux argument. Cet ouvrage veut être un discours plus rapide et plus direct pour élever l'esprit à Dieu. La différence entre ce texte et le Monologion ne consiste pas seulement en ceci, le titre en montre déjà une autre : le Proslogion n'est pas la réflexion solitaire de quelqu'un qui veut connaître Dieu, c'est un discours à une autre personne : pros..., ad. Proslogion, id est alloquium, le nomme saint Anselme dans la préface. L'interlocuteur, la personne à laquelle Anselme s'adresse est Dieu même, auquel il demande aide et lumière : « Oh ! toi maintenant, mon Seigneur et mon Dieu, apprends à mon cœur où et comment il doit te chercher, où et comment il peut te trouver71. » Le chercheur du Monologion ne
68. S. Bernard, De considcratione, 1. V, cap. VII, 15, P.L., ClyXXXII, 797 : « Quid est Deus ? Quo nihil melius cogitari potest. »
69. J. Chatillon, De Guillaume d'Auxerre à saint Thomas d'Aquin : V argument de saint Anselme chez les premiers scolastiques du XIIIe siècle, dans Spicilegium Beccense, t. I, Paris, 1959, p. 213.
70. r\ Bliemetzrieder, Isaac de Stella, La spéculation théologique, dans « Rech. théol. anc. et médiév. », 1932, p. 134-159.
71. S. Anselme, Proslogion, cap. 1, Opéra, t. I, p. 98, 1. 1-2.
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