S. VANNI ROVIGHI

Notes sur Tinfluence de saint Anselme au XIIe siècle

I - Anselme : un moine qui aime la dialectique

Lorsqu'on arrive au xie siècle, le siècle de saint Anselme, on distingue et oppose, dans la plupart des histoires de la philosophie médiévale, dialecticiens et antidialecticiens, ou dialecticiens et mystiques. Anselme brise toutefois ces cadres, car il est dialecticien subtil et mystique enflammé ; il est aussi un grand métaphysicien et un grand théologien. Mais je dirai que c'est surtout sa manière d'être tout cela ensemble qui fait l'originalité de son esprit.

Il suffit de lire ses lettres pour voir jusqu'à quel point saint Anselme est enthousiaste de la vie monastique : il voudrait que tous ses amis embrassent cette voie et il les exhorte à le faire, avec même une certaine indiscrétion, comme l'a remarqué R. Bultot, en plaçant son correspondant « dans l'alternative d'y répondre favorablement ou de manquer à l'amitié1 ». L,a lettre à Haymo et à Raynald en est un exemple éloquent. Il n'y a rien de mieux à faire que d'être moine, estime Anselme ; vous ne pourrez l'être mieux qu'au Bec, avec moi :

Utique non fallo, quia amicus sum ; certe nec fallor, quia expertus sum. Simus ergo monachi simul, serviamus Deo simul, ut de invicem nunc et in futuro gaudeamus simu. Una caro, unus sanguis, una anima, unus spiritus simus. Déni que accessistis, accedendo succen- distis, succedendo conflastis, conflando consolavistis animam meam cum animabus vestris. Scindi potest, secerni iam non potest. Trahere illam ad saeculum vobiscum non potestis. Aut ergo cum illa manebitis, aut illam scindetis. Sed si illi cohaeretis, non solum consanguinei, sed et conspirituales estis. Si vero illam scinditis, non consanguinei, sed vere sanguinei et carnales estis2.

Ainsi les pauvres parents de saint Anselme se voient-ils condamnés s'ils ne veulent pas se faire moines. On ne doutera donc pas de l'enthousiasme de saint Anselme pour la vie monastique. Peut-on aussi parler, pour lui, de « théologie monastique » ?

L/on sait que cette locution a été forgée par dom Jean L,eclercq et illustrée par des recherches très nombreuses qui ont beaucoup enrichi notre connaissance du moyen âge ; elle a été synthétisée dans son admirable livre L'amour des lettres et le désir de Dieu. Je pense que la spéculation de saint Anselme a certains des caractères de la théologie monastique au sens de dom L,eclercq, mais que

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