Présentation.
Une science
de l'administration scolaire est-elle possible ?
Réflexions autour de la circulation des savoirs entre recherche, politique et administration
Jean-Louis Derouet
II y a une dizaine d'années, Francine Dugast, alors directrice de l'INRP, et Michel Bernard, ont attiré mon attention sur la question de l'administration scolaire. Comme tous les autres chercheurs du domaine, j'avais jusque-là travaillé sur le fonctionnement des établissements sans trop poser la question du maillage qui constitue ces établissements en système. À l'occasion d'un voyage d'étude, ils m'ont demandé d'établir le dialogue avec les collègues québécois, et de dresser un bilan de la situation française (Bernard, 1994). La différence était évidemment flagrante. Au Québec, il existe un département d'administration scolaire dans toutes les facultés d'éducation, qui forme aussi bien les chefs d'établissement et les inspecteurs que les cadres des collectivités territoriales. Et cette situation est aussi celle du monde anglo- saxon : il existe un milieu scientifique nombreux, organisé autour d'associations, de revues, et de paradigmes scientifiques bien identifiables (Evers et Lakomski, 1991). Par comparaison, la France faisait pauvre mine : mis à part les travaux programmatiques de Jacques Ardoino (1977) et l'effort d'André de Peretti (1976) pour adapter une psychosociologie des organisations aux institutions éducatives, les chercheurs avaient à peu près totalement ignoré ce domaine.
La Revue française de pédagogie me sollicite dix ans plus tard pour tenter un nouveau point, en compagnie d'Yves Dutercq. Celui-ci a justement
beaucoup œuvré pour problematiser la décentralisation de l'éducation en termes de politique publique (Dutercq, 2000) et il entreprend maintenant une recherche sur les changements que cette décentralisation a entraînés dans les modes d'encadrement. Cette simple référence montre que la situation a changé, mais l'exercice de mise en perspective auquel je me suis livré m'amène à nuancer cette première impression. Après avoir caractérisé à grands traits le nouveau secteur qui a émergé, je tenterai d'expliquer en quoi il me semble que l'essentiel reste à faire, c'est-à-dire étudier les échanges, les traductions, voire les récupérations et les détournements qui se développent en permanence entre les sciences humaines et sociales et l'activité administrative. Et, dans le prolongement de cette réflexion, avancer quelques propositions pour tenter de dépasser la contradiction si souvent dénoncée entre le souci d'utilité de la recherche et le souci de sa qualité et de son indépendance.
Une science des politiques publiques locales d'éducation : l'émergence d'un réseau européen
Incontestablement, les recherches se sont développées et se sont détachées de la seule
Revue Française de Pédagogie, n° 130, janvier-fevrier-mars 2000, 5-14
