Lü Xinyu
Les ruines du futur
Histoire et conscience de classe dans le film À l’ouest des rails de Wang Bing
Nous voulions créer un monde, mais ce monde s’est écroulé.
Wang Bing
Le long travelling qui ouvre le film À l’ouest des rails 1 laisse une impression profonde. Au fil de la lente progression d’un train se déploie devant nos yeux un paysage d’usines désaffectées couvertes de neige, où quelques figures fantomatiques errent sous un ciel de plomb. Ce plan long de trois minutes nous entraîne dans un autre monde, un monde déjà dissolu, rempli des ruines de la civilisation industrielle. À la manière d’un rite de passage, il nous fait entrer dans l’histoire. Tiexi, «À l’ouest des rails » , est un quartier de la ville de Shenyang, capitale de la province du Liaoning autrefois connue sous le nom de Moukden. Base industrielle la plus ancienne et la plus vaste de Chine pendant une cinquantaine d’années, elle est aujourd’hui le dernier bastion de l’économie socialiste planifiée. Son histoire remonte à 1934, du temps où la Mandchourie était occupée par les Japonais, qui y construisirent un vaste complexe industriel destiné à approvisionner l’armée du Kwantung en armements et en machinerie de guerre. Les usines furent édifiées au sud de Moukden, à proximité d’habitations ouvrières. Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, l’Union soviétique y affecta une grande partie de l’équipement récupéré lors du démantèlement de l’Allemagne. Cette aide soviétique, intervenue dans le cadre des fameux «156 projets d’investissement en Chine » , s’appliqua pour l’essentiel au nord-est du pays. Situé à proximité de l’URSS, doté de la base industrielle laissée par les Japonais, Tiexi devint un modèle et un moteur de l’économie planifiée de type soviétique. Au début des années 1980, un million de tra-271