Jean-Marie Schaeffer

La thèse de l'exception humaine et le prométhéisme de la connaissance

1. La thèse de l'exception humaine.

Au début de La Crise des sciences européennes et la Phénoménologie transcendantale., le grand travail (inachevé) des dernières années de sa vie, Husserl critique la « réduction positiviste » dans le champ de ce que nous nommons aujourd'hui les sciences humaines et sociales. Par « réduction positiviste », il entend toute étude de l'humain qui, au lieu d'adopter la voie de l'auto-éclaircissement phénoménologique telle que lui-même la pratique, se calque sur le modèle de l'étude des étants non humains et a recours à une approche externaliste, du type de celles adoptées par le physicien étudiant la matière ou l'énergie, par le chimiste analysant les liaisons moléculaires ou encore par le biologiste décryptant la vie végétale ou animale. Se référant plus particulièrement à la psychologie et à l'histoire, il soutient que, dès lors qu'elles abordent la question de l'homme en adoptant la perspective objectiviste des sciences naturelles, elles se condamnent à le traiter comme une « chose », et du même coup ne peuvent que méconnaître et « rater » sa singularité, qui réside dans le fait qu'il ne saurait être réduit au statut d'une « objectité ».

Husserl n'a cessé de revenir tout au long de son œuvre à cette singularité humaine, la décrivant de diverses manières. Ici, dans les pages d'ouverture de La Crise des sciences européennes et la Phénoménologie transcendantale^ il la circonscrit - de façon exotérique, pourrait-on dire - à l'aide des concepts de liberté et de raison : « dans son comportement à l'égard de son environnement humain et extra-humain », l'homme « se décide librement, en tant qu'il est libre dans les possibilités qui sont les siennes de donner à soi-même et de donner à son monde ambiant une forme de raison » 1. Comme la fin du passage le laisse entendre, la singularité de l'humain, ce qui en lui transcende toute objectité et donc aussi toute saisie

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