Résultats d’une recherche sur la correction orale des erreurs entre apprenants universitaires dans une classe de français langue seconde du Québec

 

Vicky Poirier

 

 

Introduction

 

            Cette recherche a pour objet le traitement de l’erreur à l’oral en salle de classe, entre apprenants, dans une classe de français langue seconde au Québec. Elle découle du fait qu’au Québec, comme dans plusieurs autres pays, l’approche communicative en didactique des langues, une branche du socioconstructivisme en éducation, prévaut comme modèle pédagogique dans les salles de classe actuellement, ce qui a entraîné de grands changements dans les démarches d’enseignement traditionnelles depuis sa mise en place. L’un de ces changements importants réside dans le fait que, dans ce modèle pédagogique, l’enseignant n’est plus le point central par qui sont dévoilés tous les savoirs, comme dans l’approche traditionnelle; sous cette approche, il agit plutôt à titre de guide auprès des étudiants qui, en équipes, construisent leurs savoirs ensemble. Bien sûr, sous cette approche, l’enseignant continue toujours de corriger les erreurs de ses étudiants, mais puisque les apprenants passent la plupart de leur temps en équipes et que l’enseignant se promène d’équipes en équipes afin de voir au bon fonctionnement des activités de communication en cours, nous nous sommes demandé ce qu’il advient de la correction orale des erreurs quand l’enseignant n’y est plus, ce qui se passe en ce qui a trait à la correction orale des erreurs quand les étudiants se retrouvent ensemble. Se corrigent-ils ? Comment le font-ils ? Et aussi, apprennent-ils à la suite de corrections apportées par un pair? L’objectif général de cette recherche est, par conséquent, d’explorer, à partir du moment où une erreur est produite, les relations entre les types de rétroactions utilisées par les apprenants dans le but de corriger leurs collègues et les réponses suivant ces rétroactions.  

 

Problématique

 

            Dans l’enseignement de toute langue seconde, devant une production fautive de la part d’un apprenant, si on décide de corriger l’erreur, deux intervenants entrent en jeu : soit la personne qui émet une rétroaction face à l’erreur, souvent l’enseignant, et l’apprenant, par sa réaction face à l’intervention de l’enseignant.

 

            Dans la poursuite des buts visés par cette recherche, nous nous sommes inspirés de Lyster (1994, 1998, 1999), un chercheur canadien de l’Université McGill à Montréal qui s’était lui-même inspiré des travaux effectués par les précurseurs de la recherche sur le traitement de l’erreur à l’oral tels Allwright (1975), Chaudron (1977), Fanselow (1977) et Hendrickson (1978), pour n’en nommer que quelques-uns. Lyster a repris les concepts de base élaborés par ces chercheurs, puis les a insérés dans un schéma discursif où sont représentées les différentes interactions possibles entre un enseignant et un apprenant en salle de classe à partir du moment où une erreur est produite. Nous nous sommes inspirés de ce schéma discursif pour fonder les assises de cette recherche, car il offre un cadre de travail pertinent et actuel à notre étude et il permet également de répondre aux objectifs fixés par celle-ci. Ce schéma discursif a aussi servi de base à d’autres études sur le traitement de l’erreur à l’oral (Lyster 1994, 1998, 1999; Nicholas, Lightbown et Spada, 2001; Panova et Lyster, 2002). La différence majeure entre les autres recherches sur le traitement de l’erreur et celle que nous avons menée réside dans le fait que, dans cette recherche, ce n’est pas l’enseignant qui agit à titre de correcteur, mais bien un collègue de classe, puisque les étudiants travaillent en équipe la majeure partie de leur temps de classe.

 

            Dans un premier temps, voici les six types de rétroactions correctives en question que l’on retrouve dans Lyster et Ranta (1997) :

  • la correction explicite : l’enseignant fournit à l’élève la forme correcte de son énoncé fautif  tout en lui indiquant qu’il y a une erreur. Exemple : l’étudiant dit « je bois une jus », le professeur enchaîne avec « non, UN jus, on ne dit pas UNE»;
     
  • la reformulation : l’enseignant reformule l’énoncé fautif de l’apprenant en éliminant l’erreur de façon implicite. Exemple : l’étudiant dit « oui, c’est le hôpital », le professeur enchaîne avec « c’est l’hôpital. Ensuite, c’est ? »;
     
  • la demande de clarification : l’enseignant utilise des phrases telles « Pardon ? »,  « Quoi ? » ou « Je ne comprends  pas ». Il signifie ainsi à l’apprenant que son énoncé est mal compris ou mal formulé;
     
  • l’indice métalinguistique : l’enseignant utilise ici des commentaires, des renseignements (p.ex. : « C’est masculin ») ou des questions (p.ex. : « Est-ce que c’est féminin ? ») afin de signifier à l’apprenant qu’il y a un problème dans son énoncé, sans toutefois lui fournir la forme correcte;
     
  • l’incitation : l’enseignant utilise cette forme de rétroaction dans le but d’inciter l’apprenant à trouver la forme correcte. l’enseignant a le choix entre trois techniques, soit a) il commence une phrase et invite l’élève à la compléter (C’est un…) b) il essaie de solliciter la forme correcte par le biais de questions telles « Comment on dit ça ? » ou « Comment ça s’appelle ? » ou c) il demande tout simplement à l’apprenant de reformuler son énoncé;
     
  • la répétition : l’enseignant répète l’énoncé fautif en modulant (souvent) l’intonation de sa voix. Exemple : l’étudiant dit « la banane, la bleuet », le professeur enchaîne avec « la bleuet ? ».

              Dans un contexte scolaire, l’étudiant aura une réaction devant la rétroaction corrective de la personne qui vient de le corriger. Les différentes possibilités d’échanges entre un étudiant et un enseignant vont comme suit : la séquence débute avec l’énoncé d’un étudiant comportant au moins une erreur (de genre grammatical, lexical, phonologique, multiple…). L’énoncé erroné est soit suivi par un des six types de rétroactions correctives du professeur, soit ignoré. Si la production erronée est ignorée, la leçon se poursuit. Si l’enseignant fournit une rétroaction corrective à l’étudiant, celui-ci peut soit répondre à cette rétroaction ou soit ne pas y répondre (donc, on retourne à la leçon). Maintenant, s’il y a une réponse de la part de l’apprenant, cette reprise de l’énoncé fautif est soit corrigée (par répétition, autocorrection ou correction par les pairs), soit pas complètement corrigée (erreur différente produite, même erreur, hésitation, à côté du but visé, correction partielle). Si l’énoncé a encore besoin d’être corrigé, le professeur peut choisir de donner à nouveau une rétroaction corrective à l’étudiant. S’il n’y a pas d’autre rétroaction, la leçon se poursuit. Quand il y a enfin correction (s’il y en a une), cette correction est suivie par un retour à la leçon (Ibid., p. 44).

 

            Bien que les apprenants soient fortement encouragés à s’entraider et à construire ensemble dans le but de mener à bien les tâches qu’ils ont à accomplir, nous ne savons que très peu de choses sur la correction orale des erreurs entre pairs. Nous ne savons pas si elle a effectivement lieu dans les équipes, comment elle s’opère et aussi, par exemple, si les étudiants utilisent entre eux tous les types de rétroactions pour se corriger, même s’ils ont les habiletés intellectuelles pour le faire (la clientèle ciblée pour cette étude est scolarisée et peut donc, par le fait même, utiliser l’indice métalinguistique comme rétroaction devant une production fautive, ce qui n’est pas le cas pour tous les types d’apprenants en langue seconde, nous n’avons qu’à penser aux analphabètes). 

 

            Le traitement de l’erreur en salle de classe est un domaine de recherche à l’étude depuis quelque trente ans. Les recherches démontrent principalement deux choses en lien avec notre étude : la première, toutes les rétroactions ne sont pas utilisées de façon égale par les enseignants en classe. La reformulation est la rétroaction corrective la plus utilisée par un professeur pour corriger un élève dans une salle de classe (Chaudron, 1977; Fanselow, 1977; Roberts, 1995; Doughty, 1994; Lyster et Ranta, 1997; Panova et Lyster, 2002). La deuxième, malgré le fait que la reformulation est la rétroaction la plus utilisée, c’est aussi celle qui amène le moins l’étudiant à corriger sa production fautive. Les rétroactions qui amènent le plus les étudiants à se corriger sont : l’indice métalinguistique, l’incitation, la demande de clarification et la répétition de l’erreur, soit celles qui poussent l’apprenant à s’investir dans un procédé de réflexion face à leur erreur (Chaudron, 1977; Panova et Lyster, 2002; Lyster et Ranta, 1997;  Lyster, 1998).

 

Méthodologie

 

            Dans la poursuite de notre objectif général de recherche, nous avons observé un groupe de 25 étudiants de français langue seconde de l’Université de Sherbrooke dans un cours de communication orale de niveau avancé. Des ensembles de magnétophones et de microphones ont été disposés au centre des ilots de tables où les étudiants ont travaillé en équipes. Les propos des apprenants ont été enregistrés, puis ont été encodés, lors d’une écoute ultérieure, selon la fonction discursive qu’ils remplissent. Parallèlement, de manière à apporter une richesse aux résultats obtenus par l’écoute et l’analyse des interactions entre étudiants, nous avons eu recours à la triangulation des méthodes de collecte de données. Pour ce faire, nous avons distribué au dernier jour de classe un questionnaire aux étudiants qui avait pour objet de recueillir les préférences des apprenants sur les différents types de rétroactions utilisées par leurs pairs et leurs perceptions quant à leur apprentissage suite aux types d’interventions rétroactives. Nous ne divulguerons pas dans ces lignes les réponses à ce questionnaire en raison du sujet de notre article. Cette recherche, de nature quasi qualitative, a été abordée sous l’angle d’une étude exploratoire descriptive.

 

Résultats

 

            Signalons d’abord que nous avons recueilli 23 heures d’enregistrement. Parmi ces heures, nous avons dénombré au total 200 interventions correctives dans les différentes équipes, soit l’équivalent d’une rétroaction corrective toutes les sept minutes (toutes les 6,9 minutes, plus exactement).

 

            Comme pour les études antérieures dans le domaine qui démontraient toutes que la reformulation était la rétroaction corrective la plus utilisée par un professeur pour corriger un élève dans une salle de classe, la reformulation s’est également avérée la rétroaction la plus souvent utilisée entre pairs pour corriger une erreur. En effet, nous avons dénoté l’utilisation de 120 reformulations sur un total de 200 rétroactions correctives, ce qui place cette rétroaction au premier rang avec un pourcentage de 60 % d’utilisation. Il est intéressant de noter que les étudiants semblent utiliser la reformulation à la même fréquence que les enseignants, soit à 60 % dans une étude de Roberts (1995) et à 70 % chez Doughty (1994). La reformulation sort donc grande première de notre recherche. En ordre de fréquence d’apparitions, elle est suivie par la correction explicite, qui a été utilisée à 20 % du temps, par l’indice métalinguistique, qui suit de près avec 18 % des voix, et par l’incitation, qui n’a été utilisée qu’à 2 % du temps. La demande de clarification et la répétition ont été les deux stratégies correctives qui n’ont pas trouvé écho chez nos étudiants, puisqu’aucun d’entre eux ne les a employées pour signaler à un pair qu’il avait commis une erreur.

 

Les rétroactions les plus utilisées entre pairs identifiées, nous en venons maintenant au cœur de notre étude, soit à savoir si à la suite d’une intervention corrective de la part d’un pair, il y a reconnaissance ou non de l’intervention corrective, reprise de l’énoncé fautif ou non, correction ou non. Dans la section de la problématique, nous énoncions que, devant une rétroaction corrective de la part d’un pair, l’apprenant qui a produit une erreur peut réagir de trois manières : soit il remarque la rétroaction et corrige totalement sa production fautive initiale, soit il remarque la correction et il tente de se corriger sans toutefois y parvenir complètement (reconnaissance de l’erreur, erreur différente, même erreur) ou soit il ignore ou ne voit pas la rétroaction corrective du pair, retournant du coup à la conversation en cours.

 

La correction complète

 

La réparation complète de l’erreur remporte un franc succès dans cette recherche. Sur les 200 rétroactions correctives observées, 110 d’entre elles ont donné lieu à une correction complète de l’erreur initiale chez l’apprenant fautif, ce qui représente une correction complète à 55%. Les rétroactions qui incitent l’étudiant fautif à corriger complètement sa production erronée initiale sont, dans l’ordre, la reformulation, la correction explicite, l’indice métalinguistique et l’incitation; ces deux dernières terminent quant à elles ex aequo au troisième rang. Bref, ce sont exactement les mêmes qui sont les plus utilisées par nos étudiants.

 

Ces résultats sont intéressants à plus d’un égard. Premièrement, ils vont à l’encontre des études de Chaudron (1977), Panova et Lyster (2002), Lyster et Ranta (1997), Lyster (1998) qui ont établi que les rétroactions les plus enclines à susciter une réparation immédiate de l’erreur de la part de l’apprenant fautif étaient l’indice métalinguistique, l’incitation, la demande de clarification ou la répétition de l’erreur. Et deuxièmement, les taux de réparation complète de l’erreur qui se retrouvent dans notre étude sont très élevés (68 corrections complètes sur 120 reformulations donne 56,6 %, 22 réparations complètes sur 40 corrections explicites donne 55 %), si on les compare aux études de Panova et Lyster (2002) et de Lyster et Ranta (1997) où l’on retrouve, respectivement, un taux de corrections complètes de 16 % et 27 % des productions fautives initiales des apprenants suite à différentes rétroactions. Dans notre étude, nous en arrivons à l’exact opposé; nous reviendrons sur cette différence importante dans la section discussion.

 

Cependant, les quatre rétroactions que l’on regroupe sous le vocable de négociation de la forme, c’est-à-dire l’indice métalinguistique, l’incitation, la demande de clarification et la répétition de l’erreur, ont démontré des résultats probants pour générer une reprise de l’énoncé fautif chez l’apprenant.

 

La reprise de l’énoncé fautif : les corrections complètes et partielles réunies

 

En premier lieu, nous avons établi plus haut que, par suite aux 200 interventions correctives, 55 % des énoncés fautifs initiaux ont fini entièrement corrigés. De plus, sur ces 200 rétroactions totales, 28 % d’entre elles ont reçu une attention de la part de la personne apprenante sans toutefois finir complètement corrigées. Il y a donc eu reprise à 83,2 % suivant les rétroactions correctives d’un pair cherchant à corriger son collègue, ce qui représente un pourcentage très élevé comparé aux autres études menées sur le même thème où l’on dénotait des taux de 55 % chez Lyster et Ranta (1997) ou encore de 47 %, chez Panova et Lyster (2002) de reprises à la suite des différentes interventions correctives.

 

Les rétroactions qui suscitent le plus une quelconque réaction de la part de la personne apprenante sont dans l’ordre l’incitation, l’indice métalinguistique, la reformulation et la correction explicite. Au total, sur les 200 rétroactions correctives, 83 % ont incité l’apprenant fautif à tenter de reprendre son énoncé erroné, même si celui-ci n’a pas terminé corrigé complètement. La rétroaction corrective entre les personnes apprenantes ne semble pas passer inaperçue; elle obtient un très haut taux de réaction chez la personne apprenante qui cherche à se corriger, puisque seulement 17 % des rétroactions correctives n’ont mené à aucune réponse.

 

Les rétroactions ne suscitant aucune réaction

 

Dans cette étude, c’est la correction explicite qui pousse le moins l’étudiant à reprendre son énoncé fautif (25 % du temps), suivie de près par la reformulation (16,6 % du temps) et de l’indice métalinguistique (11,1% du temps). Fait intéressant, bien que la correction explicite ait été la deuxième méthode de correction la plus utilisée dans cette recherche et bien qu’elle ait suscité un taux de reprise de l’énoncé fautif de 75 %, c’est quand même elle qui incite le moins l’apprenant à changer la forme de son énoncé dans notre recherche, ce qui a aussi été observé dans les études de Lyster et Ranta (1997), Lyster (1998) et Lyster (1999). De tous ces résultats, naissent des interrogations, des réflexions et encore d’autres observations. Nous terminerons cet article par la présentation d’une discussion relative à nos résultats de recherche.

 

Discussion

 

            L’étude de ces résultats met en lumière quatre éléments intéressants : premièrement, les rétroactions correctives se produisent une fois toutes les sept minutes en contexte de travail en équipe, deuxièmement, la répétition et la demande de clarification n’ont pas été utilisées comme rétroactions pour corriger un pair dans cette étude; troisièmement, contrairement aux études menées par Chaudron (1977), Panova et Lyster (2002), Lyster et Ranta (1997) et Lyster (1998) où les techniques regroupées sous le vocable de la négociation de la forme donnent le plus de résultats probants pour la réparation complète de l’erreur initiale, c’est la reformulation dans cette recherche qui apporte le plus de bienfaits pour ce type de correction et finalement, les rétroactions correctives entre personnes apprenantes engendrent de très hauts taux de corrections complètes et partielles de l’erreur initiale, donc de reprises de l’énoncé erroné.

 

Sur la fréquence des rétroactions correctives

 

            De nos 23 heures d’enregistrement, nous avons dénombré au total 200 interventions correctives dans les différentes équipes, soit l’équivalent d’une rétroaction corrective toutes les sept minutes. Cinq facteurs principaux peuvent expliquer ce nombre d’interventions correctives observées soit, les pertes de temps, les différentes compositions des équipes, les types d’activités, les points de comparaison avec les études antérieures et les préoccupations derrière le discours de l’enseignant versus celles de l’apprenant.  Nous n’élaborerons pas sur le premier point, les pertes de temps en classe, puisque tout enseignant peut comprendre de quoi il en retourne : les étudiants, regroupés ensemble dans l’approche communicative, oublient parfois rapidement l’exercice en cours, spécialement quand l’enseignant se trouve dans une équipe voisine…

 

            La composition des équipes est un autre facteur qui peut expliquer qu’il y ait plus ou moins de rétroactions correctives pendant les activités. Dans les équipes, constituées librement, plusieurs personnalités interfèrent. Quand trois timides se placent en équipe, il y a inévitablement moins de rétroactions. Aussi, tous ces étudiants ont un bagage professionnel antérieur, ce qui fait qu’ils ne réagiront pas de la même manière devant l’erreur de l’autre.  Par exemple, un professeur d’italien qui apprend le français langue seconde peut être beaucoup plus enclin à corriger ses collègues qu’un autre étudiant qui vient d’un milieu différent. Aussi, les équipes constituées d’amis soulèvent des questions : est-ce qu’ils vont davantage se corriger entre eux, car un lien de confiance les unit ou au contraire, est-ce qu’ils vont être plus à l’aise de corriger leurs pairs s’ils ne se connaissent pas ? Nous avons observé ces deux opposés dans différentes équipes. Et pour finir, selon les équipes, selon leurs forces, leurs points à améliorer, il n’y a évidemment pas d’erreur sur toutes les séquences, toutes les productions orales. Inévitablement, à partir de ce moment, il y aura donc moins de rétroactions correctives dans une équipe.

             

            Dans le même ordre d’idées, nous avons également observé que certaines activités semblaient générer plus d’interventions correctives que d’autres. Par exemple, les questions ouvertes où les étudiants doivent répondre à l’aide de structures déjà préétablies, à tour de rôle, semblent favoriser les échanges avec rétroactions correctives de même que les questions demandant un développement court. Nous avons aussi noté au passage que les questions demandant un développement long et les comptes rendus d’histoire ou de livres semblaient, quant à eux, générer moins d’interactions, donc moins d’interventions correctives.  Toutefois, étant donné la nature de notre recherche, nous ne nous sommes pas attardés sur la relation entre les types d’activités en salle de classe et les interventions correctives engendrées par celles-ci.

           

            De plus, dans les études antérieures menées dans le domaine du traitement de l’erreur à l’oral, on ne calcule pas la fréquence des rétroactions correctives en termes de temps, mais plutôt en termes d’occurrences à la suite des erreurs initiales produites par les élèves. Par exemple, dans une étude de Lyster (1999), on prend pour point de départ les 921 erreurs initiales des élèves et on observe, à la suite de celles-ci, s’il y a rétroaction corrective ou non. Aussi, nous ne pouvons pas savoir si une rétroaction par sept minutes représente un taux élevé ou moindre d’interventions correctives puisque nous ne possédons pas de point de comparaison à cet égard. 

 

            Et pour conclure, malgré le fait que ces apprenants de français langue seconde sont appelés à collaborer et à s’entraider notamment en corrigeant leurs erreurs, il semble utopique de croire que l’apprenant peut jouer ce rôle de personne enseignante en ce qui a trait à la correction orale des erreurs, du moins sans avoir reçu de formation préalable pour le faire. En effet, deux des caractéristiques du discours de la personne enseignante sont qu’il 1) modifie son « discours afin de le rendre plus compréhensible aux élèves » (Tardif, 1994, p. 466) et 2) « utilise la langue dans le but d’atteindre son objectif, soit de communiquer avec l’apprenant » (Ibid., p. 467). L’enseignant a comme préoccupations continuelles de guider ses élèves dans les différentes activités, de les faire participer, de leur faire apprendre; bref, il a constamment des intentions pédagogiques en tête, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas des étudiants qui eux peuvent avoir d’autres préoccupations que celles de corriger leurs collègues. Ces différences peuvent constituer une autre explication au fait que des rétroactions correctives ont été observées toutes les sept minutes et non, par exemple, aux 30 secondes. Ces constatations sur le discours de la personne enseignante peuvent être aussi valides pour expliquer l’utilisation ou la non-utilisation de certaines rétroactions correctives, sujet que nous allons maintenant aborder dans la prochaine section.

 

Sur l’utilisation des différentes rétroactions correctives

 

            Nous avons vu plus haut que la répétition et la demande de clarification n’ont pas été utilisées comme rétroactions pour corriger un pair dans cette étude. Une question s’impose : pourquoi ces deux dernières n’ont-elles pas été utilisées dans les équipes ? En réalité, la répétition et la demande de clarification ont été très difficiles à identifier sur les cassettes audio, parce que toutes deux ont effectivement été utilisées dans le discours des différentes équipes, non pas en tant que rétroactions correctives, mais plutôt en tant que questions posées aux membres de l’équipe. Par exemple, si un étudiant A dit : « Toi, tu aimes les brioches ? Moi, je préfère les crossints » et que l’étudiant B répond : « les crossints ? » d’un ton interrogatif, ce n’est pas nécessairement à titre de correcteur qu’il agit, mais plutôt, ici, dans cet exemple, à titre d’étudiant confus qui n’a pas compris ce qu’a dit son collègue ! En fait, c’est le reste de la conversation entre les membres d’une équipe qui indique souvent quelles étaient les intentions de la personne quand elle a répété. Il en va de même pour la demande de clarification. Dans l’exemple précédent, si l’étudiant B répond à la place : « je n’ai pas compris, tu aimes quoi ? », ici aussi, ce n’est pas à titre de correcteur qu’il agit, mais à titre de collègue qui aimerait comprendre ce que son partenaire vient de dire, et c’est encore une fois le contexte global qui nous permettra d’identifier l’intention du collègue B. Certes, plusieurs répétitions et demandes de clarification ont été recensées, mais pas dans le contexte d’une intervention corrective. C’est l’ensemble des interactions orales entre les membres d’une même équipe qui permettent au chercheur d’identifier l’intention de la personne qui émet une production. Néanmoins, ces constatations ne sont pas dépourvues d’intérêt et il serait intéressant de s’attarder à la répétition dans ce contexte, à savoir si, malgré le fait qu’elle ne soit pas administrée en tant que rétroaction corrective, elle apporte quand même des bienfaits dans la reprise ou non de l’énoncé fautif initial.

 

Sur la  reformulation et la réparation complète de l’erreur

 

Pourquoi la reformulation fonctionne-t-elle si bien avec la réparation immédiate de l’erreur entre les pairs ? Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. L’une qui nous apparaît plausible est que nous avons noté que la reformulation apportée par un pair se produit souvent tout de suite après l’erreur d’un étudiant; on obtient alors un mélange de correction explicite et de reformulation, quelque chose comme une « reformulation explicite »,  puisqu’il apparaît dès lors évident à l’étudiant qui a commis une erreur que le pair tente de corriger l’énoncé qu’il vient de produire, comme dans l’exemple suivant :

  1. il…..a dit que… ses performances….. s’étaient
  2. étaient
  3. ah ! étaient ! ses performances étaient…

Dans la construction d’un discours, dans l’approche communicative, il y a souvent des temps d’attente entre les productions, entre les particules d’une phrase; la rétroaction peut donc venir tout de suite après l’erreur. Dans une salle de classe, l’enseignant attend souvent que l’apprenant ait terminé sa phrase fautive, et en bon pédagogue qu’il est, il reformule la phrase erronée sans erreur et essaie de ne pas trop insister sur l’erreur dite pour ne pas rendre la personne apprenante mal à l’aise ou encore pour ne pas rendre le climat de classe défavorable à l’apprentissage. Pourtant, il semble que c’est précisément quand elle se fait de façon explicite qu’elle apporte des bienfaits positifs, quand elle se fait au moment opportun, c’est-à-dire quand elle suit immédiatement l’erreur de la production fautive d’un étudiant. D’autres chercheurs, dont Chaudron (1977), Nicholas, Lightbown et Spada (2001) ainsi que Doughty et Varela (1998), ont aussi observé que la reformulation était efficace dans les contextes où il est clair pour l’apprenant que cette rétroaction porte sur la forme et non le contenu. Dans cette dernière étude, un professeur devait d’abord attirer l’attention de l’apprenant sur l’énoncé erroné, puis ensuite fournir la reformulation. Cette technique, divisée en deux parties, a elle aussi démontré des résultats très probants auprès des étudiants de cette classe.

 

Peut-être que la reformulation a aussi apporté des bienfaits dans cette recherche parce qu’elle est administrée par des collègues, dans un petit groupe d’étudiants. Il est moins intimidant pour un apprenant fautif de reprendre son énoncé erroné devant quelques camarades plutôt que devant un groupe-classe. Ce même postulat peut prévaloir pour expliquer les taux élevés de reprises entre apprenants.

             

Sur les taux élevés de reprises entre apprenants

 

            Une autre chose dont il faut s’étonner des résultats de notre recherche, ce sont des hauts taux de reprises en général chez les apprenants, que les énoncés fautifs initiaux terminent complètement ou partiellement corrigés. Comment se fait-il que les apprenants, entre eux, à la suite d’une intervention corrective, soient si enclins à tenter de reprendre leur production fautive ?

 

            Une première explication réside peut-être dans l’âge des apprenants. Nous notons, par exemple, que les dernières études de Lyster (1994, 1998, 1999) ont eu lieu dans une école primaire auprès de jeunes élèves âgés d’environ 9-10 ans, alors que celle-ci s’est déroulée auprès d’une clientèle adulte scolarisée. Les recherches de Lyster ont engendré des taux de reprise inférieurs aux nôtres, soit de 55% (Lyster et Ranta, 1997), comparativement à  83 % dans notre étude. Il semble, par conséquent, exact de postuler que la correction orale des erreurs entre apprenants adultes semble apporter plus de reprises d’énoncé fautif que la correction orale des erreurs entre apprenants d’âge préscolaire.

 

            Notre recherche diffère des autres menées sur le traitement de l’erreur à l’oral du fait que nous l’observons entre apprenants. Ainsi, nous constatons que la correction faite entre personnes apprenantes, par les personnes apprenantes, est un des facteurs qui peut expliquer des taux de reprise de l'énoncé fautif élevés, puisque c’est précisément ce point qui diffère entre notre recherche et les autres menées sur le traitement de l’erreur en salle de classe. Dans notre recherche, c’est un pair qui corrige dans les équipes et non une personne enseignante.

 

Conclusion

 

            Cette recherche nous a permis de mettre en lumière plusieurs éléments. Premièrement, en contexte de travail en équipe, une rétroaction corrective est produite toutes les sept minutes et deuxièmement, les rétroactions correctives les plus souvent utilisées sont, dans l’ordre, la reformulation, la correction explicite, l’indice métalinguistique et l’incitation. La répétition et la demande de clarification n’ont pas été utilisées comme rétroaction pour corriger un pair dans cette étude. Nous avons aussi découvert que les différentes rétroactions correctives utilisées ont engendré des taux élevés de réparations complètes de l’erreur ainsi que des taux élevés de reprises de l’énoncé fautif.  La reformulation, dans cette étude, a été la rétroaction corrective la plus utilisée par les apprenants et, contrairement à d’autres études similaires, elle a engendré des taux élevés de réparation complète de l’erreur initiale chez la personne apprenante. La reformulation semble particulièrement efficace quand elle est administrée tout de suite après une erreur de la part d’un étudiant.

 

            Certains facteurs ont pu influencer les résultats de notre recherche. Nous tenons à en rappeler quelques limites. Tout d’abord, nous reconnaissons que nous accueillons, à l’Université de Sherbrooke, une clientèle hors du commun, car hautement motivée à apprendre le français; en effet, l’acceptation des étudiants à leur programme d’étude respectif est tributaire de leur réussite aux cours de français langue seconde. Ensuite, nous ne nous sommes pas attardés aux différentes intonations utilisées par les apprenants lorsqu’ils apportaient des rétroactions correctives; peut-être celles-ci jouent-elles un rôle plus important que nous ne l’avions pensé ? Troisièmement, nous avons comparé, tout au long de cette recherche, des études portant sur des clientèles différentes, d’âges différents et de langues maternelles différentes. De plus, dans notre étude, nous n’avons que considéré les corrections faites entre pairs sur les erreurs réelles. Les corrections portant sur les erreurs imaginaires n’ont pas été retenues, car, d’une part, elles n’ont été recensées que rarement et d’autre part, considérer les corrections sur les non erreurs aurait grandement compliqué l’analyse de nos résultats. Enfin, nous estimons également que le matériel technique utilisé pour la cueillette de données n’était pas infaillible, car nous nous sommes rendu compte, à la fin de notre collecte, que nous avions perdu quelques heures de données pendant les enregistrements.

 

            Essentiellement, cette étude sur le traitement de l’erreur à l’oral dans un contexte de travail en équipe nous révèle que la correction faite par un pair ne passe pas inaperçue et qu’elle est fréquemment suivie par une réparation immédiate de l’énoncé fautif initial ou d’une tentative de correction. Dans le but de maximiser l’utilisation de la rétroaction corrective entre apprenants, il serait important, dans un premier temps, de conscientiser la personne enseignante de langue seconde aux bienfaits qu’apporte la rétroaction corrective entre apprenants et dans un deuxième temps, de l’inviter à enseigner les différentes stratégies d’interventions correctives à ses élèves, au même titre qu’elle leur enseigne, en début de classe, des stratégies de communication pour intervenir en français dans la salle de classe.

 

            Dans cette recherche, nous nous sommes spécifiquement donné comme objectif d’explorer le traitement de l’erreur à l’oral entre pairs, dans une classe de français langue seconde au Québec. Au cours de cette étude, nous avons entrevu d’autres pistes de recherches potentielles qu’il serait intéressant d’approfondir, comme celle, par exemple, d’évaluer les apprentissages à long terme en relation avec les rétroactions correctives administrées en salle de classe. Un autre sujet de recherche envisageable pourrait porter sur les types d’activités qui engendrent le plus d’interactions, de rétroactions et de corrections afin d’optimiser les situations riches en apprentissages dans les classes de langue seconde. Nous espérons que cette étude saura en inspirer d’autres, le traitement de l’erreur à l’oral étant un domaine d’étude récent d’une trentaine d’années où il reste encore plusieurs choses à explorer et à découvrir.

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 
ALLWRIGHT, R.L.
1975 Problems in the study of the language teacher’s of learner error. In Burt et Dulay (eds.), New Directions in Second Language Learning, Teaching and Bilingual Education. Washington, TESOL.
 
CHAUDRON, C.
1977

A descriptive model of discourse in the corrective treatment of learners’ errors. Language Learning, 27, 29-46.

 
DOUGHTY, C.
1994 Fine-tuning of feedback by competent speakers to language    learners. In J. Alatis (Ed.), Georgetown University Round Table on Languages and Linguistics 1993: Strategic interaction and language acquisition (pp.96-           108).Washington,DC: Georgetown University Press.
 
DOUGHTY, C. et Varela, E.
1998 Communicative focus on form. In C. Doughty et J. Williams (Eds), Focus on form in classroom second language acquisition (pp.114-138). New York : Cambridge University Press.
 
FANSELOW, J.
1977 The treatment of error in oral work. Foreign Language Annals, 10, 583-593.
 
HENDRICKSON, J.
1978 Error correction in foreign language teaching : Recent theory, research, and practice. Modern Language Journal, 62, 387-398.
 
LYSTER, R.
1994 La négociation de la forme : stratégie analytique en classe d’immersion. The Canadian Modern Language Review, 50, 447-465.
 
LYSTER, R. et Ranta, L.
1997 Corrective feedback and learner uptake : Negotiation   of form in communicative classrooms. Studies in Second Language Acquisition, 19, 37-66.
 
LYSTER, R.
1998 Recasts, repetition, and ambiguity in L2 classroom discourse. Studies in Second Language Acquisition, 20, 51-81
 
LYSTER, R.
1999 La négociation de la forme : la suite… mais pas la fin. The Canadian Modern Language Review / La Revue canadienne des langues vivantes, 55(3), 355-384.
 
NICHOLAS, H., Lightbown, P.M. et Spada, N.
2001 Recasts as feedback to language learners. Language Learning, 51(4), 719-758.
 
PANOVA, I. et Lyster, R.
2002 Patterns of Corrective Feedback and Uptake in an Adult ESL Classroom. TESOL Quarterly, 36(4), 573-595.