UN MODE DE COMPOSITION DE L'ALLIANCE : LE « MARIAGE OBLIQUE » TICUNA

Jean-Pierre GOULARD et Laurent S. BARRY *

Le « mariage oblique » occupe dans les travaux anthropologiques abordant la problématique des systèmes de parenté une position fort singulière. De fréquentes occurrences de ce type d'unions, dans le monde amérindien et en Inde du Sud notamment, et le fait qu'il s'observe toujours concurremment à la présence de formes de réalisations matrimoniales plus « orthodoxes » — celle du mariage des cousins croisés — nous incitent en effet à nous interroger sur les implications théoriques caractéristiques de cette forme d'alliance.

Les travaux récents sur cette pratique se sont généralement plus attachés à en souligner les effets structuraux — les mettant en relation avec ceux qu'il est possible d'inférer du mariage avec la cousine croisée patrilatérale ou bilatérale — qu'à en proposer une lecture véritablement à même de justifier de sa configuration spécifique — le. du caractère oblique d'une telle union.

Il semble pourtant qu'il soit possible d'envisager cette problématique à partir d'une approche sensiblement différente. Ainsi, à partir de l'examen des données ticuna, il apparaît possible d'envisager un modèle dans lequel le mariage avec la fille de la sœur 1 n'est plus susceptible d'une analyse « isolée », mais nécessite la prise en compte d'un mode de composition de l'alliance spécifique. Les mariages à chaque génération sont ainsi étroitement liés aux réalisations matrimoniales précédentes, à celles des consanguins certes, mais également des « affins réels » 2.

Nous serions alors en présence d'un des modes de « compositions de l'alliance » possibles, lequel suppose la prise en considération par Ego de l'équivocité et du caractère polysémique des relations qu'il entretient avec son conjoint 3. Dans cette configuration particulière, la répétition entre générations consécutives du mariage MB/ZD aboutit in fine à une union avec la cousine croisée matrilatérale, lors même que les implications structurales (positions interchangeables des « donneurs » et « preneurs ») restent celles de l'union patri/bilatérale. Les pratiques matrimoniales et la nomenclature ticuna montrent d'ailleurs à l'évidence, comme nous le verrons, que le lien véritablement pertinent retenu par les acteurs n'est pas celui oncle/nièce, mais bien celui, « composé », résultant de la succession de plusieurs alliances de ce type entre générations.

Journal de la Société des Américanistes 1998, 84(1) : p. 219 à 236. Copyright © Société des Américanistes.