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Technologiques
Technique et langage
TECHNIQUE
Autonome, la machine industrielle ne produit pas seulement de l'énergie, elle produit des signes, se met à signifier le réel tandis que le réel va progressivement signifier à travers elle. Bruyante, elle couvre toute autre parole car le jeu des pistons, les cris de vapeur sont le langage même. Elle signifie, recouvrant tout autre processus de signification. Autrement dit, la révolution industrielle est aussi une révolution du logos qui ébranle la philosophie du langage depuis les Grecs.
Mais cet état de fait, qui prend sens dans l'histoire de la philosophie, nous renseigne aussi sur la technique elle- même. Celle-ci nécessite d'être racontée, parlée, mise en récit pour s'imposer socialement, mentalement et parvenir à exister. Car il n'y a de technique qu'intériorisée par le récit qui, dans le même mouvement, autorise sa réalisation. Le récit est ce qui fait advenir la technique. La fable est productrice de réalité dans la mesure même où la réalité est constituée de récits. Comme l'écrivit Roland Barthes :
« Innombrables sont les récits du monde. (...) Le récit se moque de la bonne et de la mauvaise littérature : international, transhistorique, transculturel, le récit est là comme la vie1 ».
Prenant des formes multiples, qu'il soit affaire de littérature ou de conversation, de cinéma ou d'images virtuelles, le récit est universel, engageant le langage sous des formes elles-mêmes diversifiées, écrites, orales ou visuelles. Il traduit une aptitude de l'être humain à raconter
1. R. Barthes, « Introduction à l'analyse structurale des récits », Poétique du récit, Point Seuil, Paris, 1976, p. 7.
MICHEL FAUCHEUX
communication & langages - n° 143 - Mars 2005