ANALYSE « LOGIQUE » D'UN TEXTE DE MONTESQUIEU SUR L'ESCLAVAGE

« II est impossible que ces gens-là soient des hommes, parce que si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. »

Le texte analysé est un extrait de L'Esprit des lois (livre XV, chap. 5), relatif à l'esclavage des Noirs. Dans son réquisitoire contre l'esclavage, Montesquieu recourt à un procédé fréquemment utilisé par la littérature militante du xvme siècle : il feint de se ranger à l'avis de ses adversaires, et expose les arguments qui, d'après eux, justifient l'esclavage (« si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais »). Et il montre que ces arguments (ex. : le sucre serait trop cher si la culture n'en était pas assurée par les esclaves... la race noire est une race inférieure, destinée à l'asservissement, et qui n'en souffre pas) suggéreraient plutôt des conclusions opposées, en faisant apparaître l'absurdité et l'injustice de ce qu'ils prétendent justifier. C'est dans cet esprit que Montesquieu prête aux esclavagistes le raisonnement cité plus haut, et dont nous allons tenter l'analyse.

A. Analyse littérale.

Le texte comporte deux propositions explicites :

A : nous sommes chrétiens, В : les noirs sont des hommes.

Le raisonnement des esclavagistes prend pour prémisse :

(1) В =ф- non-A (= « si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens »).

D'où il tire la conclusion :

(2) Non-B ( = « il est impossible que ces gens-là soient des hommes »).

93