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Enquête sur la situation des ouvriers agricoles à l'Est de l'Elbe. Conclusions prospectives

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Fait partie d'un numéro thématique : La construction sociale de l’économie
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ENQUETE SUR LA SIT IDES OUVRI A L'EST DE

JATIQN

RS AGRICOLES L'ELRE

CONCLUSIONS PROSPECTIVES

* Cette conclusion de la partie de l'enquête menée sous la direction de Max Weber fut publiée pour la première fois in : Schriften des Vereins für Sozialpolitik, tome 55, Leipzig, Duncker und Humblot, 1892 ; et rééditée in : E. Baumgarten, Max Weber, Werk und Person, Tübingen, Mohr, 1964, pp. 88-101.

1- Avant la transformation de l'organisation économique par l'économie monétaire, un Instmann avait sur le domaine un logement familial et une petite exploitation avec un élevage propre que le seigneur lui attribuait ; il travaillait sur l'exploitation domaniale avec sa famille et un laboureur qu'il rémunérait lui-même ; il recevait du seigneur, comme rémunération pour son travail, les produits d'une certaine surface du domaine. C'est grâce à cela qu'il avait intérêt, comme le seigneur, à un haut niveau de production.

Traduit de l'allemand par Denis Vidal-Naquet

La question du niveau des salaires dans les campagnes est, dans certaines limites —au demeurant très étendues—, une simple question de pouvoir ; les plaintes exaspérées des employeurs selon lesquels l'élévation du niveau de vie des ouvriers les aurait amenés à des prétentions toujours croissantes, vont à l'encontre du fait évident que seul un niveau de vie supérieur confère aux ouvriers l'énergie physique et psychologique nécessaire pour obtenir des succès dans la lutte pour le partage des biens matériels.

En vertu de la téléologie inconsciente, inhérente aux relations sociales, la transformation capitaliste de la condition ouvrière est l'adversaire naturel d'un haut niveau de vie des ouvriers. Si l'on étudie le niveau des salaires dans différents districts, un phénomène surprenant apparaît : dans le Nord, c'est justement dans les régions de cultures intensives (plaine de la Vistule, Posnanie) que les ouvriers stables voient baisser tendanciellement le niveau de leurs salaires. Cet aspect important est généralement masqué par les hauts salaires des saisonniers (cela correspond cependant à ce que les monographies ont déjà mis en évidence). Les conséquences de la désorganisation capitaliste apparaissent clairement en Silesie. Certains phénomènes y accompagnent la grande exploitation moderne : l'importance du travail féminin, l'absence d'élevage, et surtout d'une exploitation indépendante, pour les ouvriers sans terres, un

habitat ouvrier dans des maisons familiales {Familienhäuser) semblables à des casernes. En faisant exploser l'ancienne organisation du travail, la grande exploitation moderne a créé un prolétariat rural face auquel se dresse un ordre très puissant d'employeurs qui aspirent à maintenir la gestion patriarcale, malgré la dissolution de la communauté d'intérêts et la réorganisation de toutes les relations sociales par l'économie monétaire.

Cette évolution conduit avant tout à la marginalisation de la main- d'oeuvre allemande (einheimisch) et stable. On retrouve toujours et partout l'appel à une main-d'oeuvre étrangère dont le niveau de vie est inférieur, malgré la productivité supérieure des ouvriers allemands ; s'il arrive que celle- ci soit inférieure, c'est tout simplement parce qu'un ouvrier allemand conserve, lorsqu'il est nourri aux trois quarts de ses besoins alimentaires (qui correspondent à des critères allemands), non pas les trois quarts de sa capacité de production, mais moins ; c'est pourquoi un Allemand ne produit pas, dans ces conditions, ce que produit un ouvrier polonais parfaitement nourri selon ses critères alimentaires inférieurs ; au contraire, un Allemand parfaitement nourri produit plus, et cela non pas proportionnellement au sur-salaire qu'il reçoit par rapport à un Polonais, mais notablement plus. L'appel aux ouvriers migrants, là même où l'on pourrait employer des ouvriers nationaux, est partiellement, mais seulement partiellement fondé sur le fait que les salaires qui leur sont versés sont inférieurs dans l'absolu ; mais de façon générale il se justifie, non seulement par la docilité plus grande des étrangers (Fremden) employés de façon précaire, mais aussi par la possibilité d'utiliser cette force de

travail l'été sans être obligé de la prendre en charge l'hiver et notamment en ce qui concerne les obligations juridico-administratives et autres qui existent pour les ouvriers nationaux. En ce sens, elle est toujours meilleur marché pour l'employeur.

C'est pourquoi leslnstleute (1) allemands, sûrs d'eux-mêmes, doivent, là où ils existent encore, s'effacer devant les ouvriers migrants russo- polonais ; les Komorniks polonais ne connaissent pas ce risque grâce à leur niveau de vie inférieur ; en revanche, les travailleurs libres sont chassés du pays par l'immigration provenant de l'Est ; et finalement, comme le montre la comparaison des salaires dans la haute vallée de la Vistule entre 1873 et aujourd'hui, le niveau des salaires s'est tassé. Ce processus se développe également, lentement mais sûrement, là où le système patriarcal existe encore : en haute Poméranie et en Prusse orientale. Le résultat est avant tout un recul constant de la germanité (Deutschtum). A l'Est, le niveau de conscience de l'ordre {Stand) des ouvriers agricoles et leur niveau alimentaire vont tout simplement de pair avec la germanité.

Pour juger de cet état de fait, il faut se garder d'une erreur commune aux intéressés : on ne peut laisser entendre, sous prétexte que cette évolution s'oriente dans une direction fâcheuse, que l'on pourrait en faire reproche à l'une des parties prenantes — en particulier aux employeurs pris individuellement. Les deux parties, ouvriers et employeurs, contribuent à cette évolution et l'employeur isolé agit simplement en fonction de la force contraignante de la situation. S'il veut survivre dans les circonstances actuelles de concurrence et surmonter les difficultés du marché du travail, il ne peut agir autrement. Ce qui rend cette situation dangereuse, c'est justement que la force de cette évolution soit indépendante des faits et gestes de chacun.

Cette évolution est cependant inquiétante parce qu'elle détruit ce qui existe sans mettre en place aucun équivalent. La grande solidité de l'organisation publique {öffentlich) de l'agriculture était à la fois le reflet et le fondement de la rigoureuse organisation de l'État ; elle était avant tout la base sur laquelle se développaient les conditions psychologiques de la discipline militaire. Celle-ci allait de soi

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