École primaire et domination coloniale
Quel est le rôle de l'école aujourd'hui dans la société coloniale de Nouvelle-Calédonie ? Contribue- t-elle à réduire les inégalités, notamment ethniques, ou est-elle au contraire un facteur de leur maintien ? J'ai essayé, dans des travaux antérieurs, d'aborder cette question, d'une part en retraçant l'évolution des disparités scolaires au niveau de renseignement secondaire, d'autre part en esquissant une analyse de la place occupée par l'école dans le système des instruments de reproduction de la formation sociale calédonienne. Le dépouillement des archives et des statistiques permet de voir que, loin de tendre à s'effacer, les écarts ethniques dans l'accès aux diplômes se sont, en termes absolus, aggravés au cours des^ 20 dernières années, la structure des chances des Européens et des Canaques ayant effectué une simple translation. On observe également l'amorce, au .sein du milieu mélanésien lui- même, d'une différenciation sociale, corrélative de la croissance du salariat urbain et de la formation de couches petites-bourgeoises canaques scolarisées. L'appartenance ethnique ne suffit plus, à elle seule, à rendre compte complètement du cursus scolaire des enfants autochtones, pas plus que de celui des écoliers des communautés allochtones (1). Le système d'enseignement constitue en fait un
DIFFERENCE ETHNIQUE ET
DIFFERENCES
SOCIALES
DANS LES
ECOLES
PRIMAIRES
DE NOUVELLE
CALEDONIE
O
û) O
û>
des principaux mécanismes de fermeture de l'espace social colonial et, à ce titre, il contribue activement à perpétuer, tout en la légitimant, la structure des rapports de domination ethnique et de classe qui
*Cet article présente les principaux résultats d'une des enquêtes que j'ai menées, dans le cadre de la Section de sociologie du Centre ORSTOM de Nouméa (septembre 1983- juin 1985), sur les rapports entre le système d'enseignement et les transformations actuelles de la société coloniale de Nouvelle-Calédonie. Je voudrais remercier Elizabeth Bonamour du Tartre pour l'assistance efficace qu'elle m'a apportée durant toutes les phases de ce travail, et plus particulièrement lors du codage des questionnaires, ainsi que Monique de Saint Martin pour les critiques et suggestions constructives qu'elle m'a adressées à partir d'une version antérieure de ce texte, et Pierre Bourdieu pour ses encouragements tenaces sans lesquels je n'aurais jamais pu en achever la rédaction. On trouvera un premier bilan d'ensemble de ces recherches dans mon livre L 'école inégale. Éléments pour une sociologie de l'école en Nouvelle- Calédonie, Nouméa et Paris, Institut culturel mélanésien avec les Éditions de l'Orstom, 1985. Pour un exposé plus complet des données et des aspects méthodologiques de l'étude dont il est question ici, cf. L. J. D. Wacquant, avec la collaboration d'E. Bonamour du Tartre, Position sociale et performance scolaire. Sociographie du système d'enseignement primaire urbain en Nouvelle-Calédonie, Nouméa, Orstom, 1985, ronéoté, 210 p.
1 — L. J. D, Wacquant, La question scolaire en Nouvelle- Calédonie : idéologies et sociologie, Les Temps modernes, 464, mars 1985, pp. 1654-1685, et L'école inégale, op. cit., pp. 185-187.
