ANNALES DE DEMOGRAPHIE HISTORIQUE 1995, p. 5 à 16

ROLE ECONOMIQUE DE LA PARENTE

par Laurence FONTAINE

L'histoire de la famille a été écrite, dans la longue durée européenne, comme une lente construction de la famille nucléaire aux dépens des lignages et des clans. Or, cette évolution d'ensemble n'est ni continue ni linéaire. Grandement tributaire des groupes sociaux, des conjonctures économiques,,cette histoire l'est aussi de la volonté politique, celle de l'Eglise comme celle de l'État qui entendent faire de la famille étroite la base du recensement des corps, des âmes et des biens1. En ce sens les sources produites par les pouvoirs civils et ecclésiastiques qui autonomisent les familles - listes nominatives, recensements, rôles d'impôts, règles juridiques ou coutumières organisant la transmission des biens - sont toutes susceptibles de faire prendre pour réalité ce qui n'est peut-être qu'un des moyens visant à contrôler et à accélérer l'atomisation de la société autour de la cellule familiale et du pater familias.

Le succès, dans l'Europe moderne, des réseaux de marchands migrants alpins, auvergnats ou cotentinois comme celui des lignages paysans des grandes plaines céréalières ou celui, plus récent, des dynasties industrielles oblige à regarder autrement cette évolution d'ensemble et incite à s'interroger à nouveau sur le rôle économique de la parenté dans la réussite de certains groupes sociaux. Toutefois, la mise en évidence de la puissance de certaines parentèles ne signifie pas pour autant que tous les groupes familiaux fondent leur présence sociale sur l'utilisation d'une parenté plus large. C'est pourquoi une double préoccupation sous-tend cet atelier :

, - l'histoire des familles est indissociable de celle de l'affirmation de l'État, de l'Église et de leurs institutions (l'époque actuelle montre d'ailleurs combien les réseaux de parents sont prompts à se reconstituer et à utiliser les faiblesses des institutions économiques et politiques dès que l'État est incapable d'assumer son rôle de garant) ;

- la parenté n'est pas un bien socialement également partagé.

A partir de ces constats, quatre ensembles de questions ont été posées, sachant que chacune d'elles mérite d'être soigneusement inscrite dans une chronologie différenciée selon les groupes sociaux et les conjonctures politiques et économiques.

1) La transmission des biens n'est qu'une des pièces du renouvellement économique des familles2. Peut-on voir si, par-delà règles et coutumes, qui posent la