NOTE SUR DEUX RELIEFS DES « ANTIQUES » DE GLANUM LE PROBLÈME DE LA ROMANISATION
Les captifs représentés en haut-relief sur les panneaux latéraux des deux façades de l'arc de Glanum posent un problème singulier, qui engage la signification du monument, et dont il ne semble pas que les études anciennes ou récentes sur la statuaire de la Gaule Narbonnaise aient perçu la portée. A la différence des vaincus de Carpentras, dont les particularismes ethniques, fortement accusés, devaient inspirer une curiosité mêlée de crainte, et présentent tous les caractères de la barbarie (1), ceux de Glanum sont en effet traités avec une sorte de sympathie, qui suscite encore, chez l'observateur moderne, un sentiment de malaise : si la dignité douloureuse de ces hommes et de ces femmes qui, chargés de chaînes, attendent de part et d'autre d'un trophée, leur permet d'échapper à la banalité, malgré la convention d'un schéma fort répandu (2), elle est aussi à l'origine de l'ambiguïté de la représentation. Comment interpréter ces silhouettes à la fois nobles et tristes, que rien ne disqualifie, et qui paraissent vouées à un malheur sans recours, sur un édifice dont les autres ornements disent clairement la vocation triomphaliste (3) ? Nous sommes en présence de figures qui, sans entrer dans les canons de la plastique grecque, comme les Galates du monument pergaménien d'Attale (4), sans s'affadir comme le jeune Celte un peu mièvre du relief julio-claudien du Vatican (5), conservent leur puissance propre, malgré une situation humiliante, et ne se dépouillent pas d'une profonde humanité. De même, si leur costume n'est pas romain, puisqu'il comporte de longues robes et des manteaux à franges pour les femmes, des braies et des pantalons, des tuniques à franges et des manteaux du genre sagum pour les hommes (6), il reste suffisamment discret pour échapper à la catégorie des attributs exotiques.
F. Chamoux et G. Mansuelli ont naguère montré qu'il serait vain de vouloir rattacher ces reliefs à un épisode précis de la conquête, et qu'il s'agissait d'images topiques, dont l'aspect non conjoncturel était assuré par le faible particularisme des personnages (7). Même si la présence d'une carnyx et d'un casque de cuir recouvert de poils ondulés, parmi les objets secondaires, suggère un contexte plus gaulois que germa-
(1) Sur les captifs de l'arc de Carpentras, cf. G.-Ch. Picard, dans CRAl, 1960, p. 13 sq.
(2) Celui des Gaulois ou, plus généralement, des prisonniers barbares enchaînés ou simplement associés à un trophée. Cf. S. Reinach, Les Gaulois dans l'art antique, dans RA, 1888, 2, p. 273 sq. (pi. 22-23 : sarcophage Ammendola); B. Woelcke, dans BJ, 120, 1911, p. 171 sq.; P. Bienkowski, Les Celtes dans les arts mineurs gréco-romains, Cracovie, 1928, p. 49 sq. et p. 191 sq.; G.-Ch. Picard, Les trophées romains, Paris, 1957, p. 81 sq.; voir aussi Helbig. Fiihrer durch die ôffentlichen Sammlungen klassischer Altertùmer in Rom, 4eédit., Tiibingen, I, 1963, n°603, p. 467 sq. (H. von Steuben); II, 1966, n° 1215, p. 61 sq. (B. Andreae); n° 1941, p. 702 sq. (B. Andreae); III, 1969, n°2126, p. 14 sq. (B. Andreae); n°2144, p. 43 sq. (B. Andreae); n°2357, p. 285 sq. (E.Simon); IV, 1972, n°3150, p. 123 (E.Simon), et en dernier lieu T. Hôlscher, Rômische Siegesdenkmàler der spâten Republik, dans Tainia, Mayence, 1980, p. 351 sq.
(3) Et particulièrement les victoires qui ornent les écoinçons entre archivolte et attique. Cf. H.Rolland, L'arc de Glanum, 31 e Supplément à G allia, Paris, 1977, pi. 16, 17, 55, 56, 58.
(4) Cf. A. Schober, Das Gallierdenkmal Attalos I in Pergamon, dans RM, 51, 1936, p. 104 sq.; E. Kùnzl, Die Kelten des Epigonos von Pergamon, Wiirzburg, 1 97 1 ; F. Coarelli, // « grande donario » di Attalo I, dans / Galli e iltalia, Rome, 1 978, p. 230 sq. Ce dernier auteur propose une restitution très précise du groupe statutaire, en montrant le bien-fondé de certaines hypothèses de Schober, contestées par Kunzl, et suggère que les copies romaines du Gaulois mourant et du Gaulois se suicidant après avoir tué sa compagne, toutes deux provenant de la collection Ludovisi, auraient été exécutées pour César entre 46 et 44 av. J.-C.
(5) Cf. P. Bienkowski, op. cit., fig. 255, p. 191 ( = Helbig, 4eédit., I, n° 603).
(6) Cf. infra, p. 163.
(7) F. Chamoux, Observations sur l'arc de triomphe de Glanum, dans Annales de l'Est, n° 19 ( = Etudes d'archéologie classique, I, 1955-56). Paris, 1958, p. 61-62; G. Mansuelli, dans Arte antica e moderna, 8, 1959, p. 372. Voir aussi S. de Maria, Apparato figurativo nell'arco onorario di Susa, dans Rivista di Archeologia, I, 1977, p. 50.
