Jacques Leenhardt

La photographie, miroir des sciences humaines

Maintenant donc que mon esprit est libre de tous soins (...) je m'appliquerai sérieusement et avec liberté à détruire généralement toutes mes anciennes opinions.

DESCARTES, Première Méditation

« Un jour, il y a bien longtemps », ou « il était une fois •» : qui eût imaginé que le dernier livre de Roland Barthes s'ouvrirait sur une de ces formules par lesquelles se marque le caractère narratif d'un texte ? Rien de commun avec les incipit assertifs dont Barthes avait accoutumé de faire ses attaques : « La vertu du catch c'est d'être un spectacle excessif », première phrase des Mythologies. L'assertion ici guide fermement le lecteur vers l'analyse, vers des définitions.

Quelle modification profonde, touchant à l'entreprise elle- même d'écrire, l'auteur veut-il nous faire sentir à l'orée de son livre ultime, ne l'ayant certainement pas laissé au hasard, lui qui rappelait, en ouverture au Système de la Mode, « une méthode s'engage dès le premier mot » ? Quelle est cette méthode, pour vouloir se donner d'emblée la forme narrative ?

Si la Chambre claire i est un récit, serait-ce que la méthode y est devenue elle-même objet de la quête, qu'elle n'est plus donnée et fondatrice du discours assertif, mais encore à inventer, au terme peut-être d'un chemin nouveau, d'un parcours de la méthode ? La Chambre claire ne se présente donc pas comme un traité sur la photographie ou sur quelque autre objet : la forme diégétique inhabituelle que Barthes a voulu lui donner installe le projet heuristique dans la textualité du récit pour pouvoir, hors des assurances de la « science » , lui conférer l'allure et le rythme d'une quête théorique sans graal. Toutefois, nous verrons que la déception qui frappe chaque avancée cognitive ouvre sur un au-delà du champ méthodique et réinstalle finalement, par un recours à Rousseau, la primauté de l'humain dans les sciences humaines.

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