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L'histoire de l'immigration en France. Note sur un enjeu

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Fait partie d'un numéro thématique : Le savoir-voir
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72 Notes et esquisses

L'HISTOIRE

DE L'IMMIGRATION EN FRANCE

NOTE SUR UN ENJEU

En 1973, sur quelque 1 500 références bibliographiques relatives à l'immigration répertoriées par la revue Hommes et migrations (1), une trentaine à peine concernait directement l'histoire. Dix ans plus tard, même si c'est un domaine moins ignoré des historiens, les publications sur le sujet restent rares (2). Dans la plupart des ouvrages concernant l'histoire de la France contemporaine, quand la question de l'immigration n'est pas purement et simplement passée sous silence, elle occupe quelques pages, voire quelques lignes, de préférence dans la rubrique «sociale», le plus souvent au paragraphe «aspects démographiques». Immanquablement, l'on y retrouve un résumé de ce qui constitue aujourd'hui encore le seul ouvrage approfondi sur la question et qui date de... 1932 (3). Lorsqu'on sait qu'en France un habitant sur trois est d'origine étrangère à la première, la deuxième ou la troisième génération ; que dans les années 20 ce pays compte le taux d'immigration le plus fort du monde, avant même les USA, cette «amnésie» est pour le moins paradoxale. Dans ces quelques pages je voudrais montrer, en me limitant à la période antérieure à 1939, en quoi la question de l'immigration est incontournable pour tous ceux qui veulent comprendre l'histoire sociale de la France. Dans le climat d'intolérance actuel, l'enjeu, on s'en doute, n'est pas seulement scientifique (4).

On ne peut étudier l'histoire de l'immigration en France sans commencer par évoquer les difficultés rencontrées par la bourgeoisie pour constituer un marché du travail ouvrier adapté aux nécessités de la grande industrie. Depuis longtemps les historiens ont souligné

l-Hommes et migrations, 120, 1973, cité pax J.-C. Bonnet, L'immigration dans la France contemporaine, travaux récents et directions de recherches, Cahiers d'histoire , 2, 1974.

2-Pour les rapports entre parti communiste et Immigration, voir les travaux de René Gallissot et Ralph Schor ; pour l'immigration polonaise, les recherches en cours de Janine Ponty; pour l'immigration juive à Paris, la thèse de Nancy Green, Le Pletzelde Paris : travailleurs immigrés juifs à la Belle Époque, à paraître chez Fayard ; pour les Italiens, signalons la récente création du Centre d'études et de documentation sur l'émigration italienne sous la direction de Pierre Milza. Dans une optique comparative, voir aussi les travaux en cours de Klaus Manfrass, à l'Institut historique allemand, sur l'immigration en France et en RFA.

3— G. Mauco, Les étrangers en France, Paris, A. Colin, 1932.

4-Ces réflexions s'appuient sur une recherche régionale, G. Noiriel, Longwy, Immigrés et prolétaires ( 1880-1 980), Paris, PUF, 1984.

l'importance numérique et politique de la petite paysannerie française qui a pu échapper à la prolétarisation massive décrite par Marx à propos de la Grande- Bretagne en profitant de la vente des biens nationaux sous la Révolution française pour s'accrocher à son petit lopin de terre. Néanmoins, toutes les conséquences de cette résistance efficace n'ont pas encore été tirées en ce qui concerne le processus de formation de la classe ouvrière.

Jusque dans l'entre-deux-guerres au moins, chaque période de développement industriel voit se reproduire le concert de lamentations patronales à propos de la pénurie de main-d'œuvre. A la fin du 19e siècle encore, le prolétariat de fabrique demeure très minoritaire ; les ouvriers à domicile et les artisans sont toujours plus nombreux que les ouvriers d'usine au sens moderne du terme. Autre conséquence du poids de la petite paysannerie, la faiblesse démographique chronique imputable aux comportements malthusiens de petits propriétaires craignant par-dessus tout le morcellement de leur exploitation est un facteur supplémentaire expliquant l'absence «d'armée industrielle de réserve».

Dans ces conditions, depuis la moitié du 19e siècle, chaque phase d'expansion s'accompagne d'un recours important à la main-d'œuvre immigrée. Les travailleurs étrangers, au nombre de 380 000 en 1851, sont déjà plus d'un million en 1881 ;près d'un million deux cent mille en 1911, auxquels il faut ajouter les saisonniers (surtout dans l'agriculture), les frontaliers (60 000 Belges passent tous les jours la frontière pour travailler dans les entreprises du Nord de la France) et les étrangers devenus Français (un million entre 1872 et 1911). Jusqu'en 1860, il s'agit surtout d'une immigration de métier qui n'a pas peu contribué au démarrage industriel du pays (que l'on songe aux 20 000 techniciens anglais notamment dans la métallurgie, aux menuisiers allemands de Paris, aux maçons italiens du Sud-Est, etc.). Puis, de plus en plus, la main- d'œuvre non «qualifiée» l'emporte. En 19 1 1 , les deux tiers des immigrés (Belges et Italiens surtout) travaillent dans l'industrie, un dixième dans le commerce et le transport et un cinquième dans l'agriculture, car s'il y a beaucoup de petits propriétaires dans les campagnes françaises , les ouvriers agricoles ont quasiment disparu. Dès cette époque c'est grâce aux immigrés que se développe l'industrie textile dans des villes comme Roubaix où les Belges représentent la majorité absolue de la

lation (5), grâce aux Italiens que peut démarrer l'extraction du minerai de fer en Lorraine. A partir de la première guerre mondiale, le rôle de l'immigration dans la vie économique française devient beaucoup plus important encore. C'est au cours de la guerre que l'État inaugure sa politique de recrutement en utilisant massivement la main-d'œuvre coloniale, des Asiatiques et des Africains surtout qui seront renvoyés sans plus d'égard après la guerre, mais qui ont fourni,avec les immigrés européens, 20 % des ouvriers ayant travaillé dans les usines d'armement. Au lendemain du conflit, alors que l'industrie française connaît une expansion sans précédent, le problème de la force de travail ouvrière devient d'autant plus angoissant pour le patronat français que la guerre a causé la mort d'un million et demi de personnes (ouvriers et paysans surtout) et provoqué un déficit démographique total évalué à près de trois millions et demi d'individus. L'immigration dépasse alors en ampleur tout ce que l'on avait. connu jusque là. En 1930, il y a au moins trois millions d'étrangers en France ; 7 % de la population totale et près de 15 % de la classe ouvrière.

Au-delà de ces chiffres (6), il faut examiner la répartition de cette main-d'œuvre pour apprécier son rôle dans l'économie du pays. Dans les mine; et les carrières, les immigrés représentaient 6,8% de l'effectif ouvrier en 1906 ; 20 ans plus tard, ils en forment le tiers. Dans les mines de charbon, sur 143 000 mineurs embauchés entre 1919 et 1927, 104 000 sont des immigrés. Dans les mines de fer, ceux-ci sont encore plus nombreux. En 1930, si la France occupe le premier rang mondial dans cette branche avec une production de 48 millions de tonnes, elle le doit aux étrangers qui représentent 70 % des effectifs des mines de fer, et presque 100 % si l'on ne considère que les ouvriers d'abattage. De même, les mines de bauxite du Sud emploient 80 % d'immigrés, la mine d'or de Budelière (Creuse) 65 %, etc. Dans la métallurgie, les chiffres moyens sont plus faibles (13 %), mais il faut distinguer entre la métallurgie de transformation qui reste un fief des Français, et la métallurgie lourde où les étrangers dépassent souvent le tiers des effectifs. En Lorraine du

5-Cf. J .Reaidon, Belgian Workers in Roubaix, thèse, University of Michigan, 1977 et aussi L. Marty, Chanter pour survivre, Liévin, Fédération Léo Lagrange, Atelier ethno- histoire et culture ouvrière, 1982.

6— Les statistiques concernant l'immigration sont peu fiables avant la deuxième guerre mondiale. Entre autres raisons il faut souligner l'ampleur de l'immigration clandestine (un tiers de l'immigration contrôlée, estime Georges Mauco) et le fait que les recensements ne coïncident pas avec le rythme de l'immigration. Par exemple les chiffres de 1911, les derniers avant la guerre, masquent le fort développement du recrutement entre 1911 et 1914. De même, l'immigration atteint son paroxysme en 1930 ; les chiffres du recensement de 1931 reflètent une conjoncture où le reflux est déjà amorcé.

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