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Dialogue à propos de l'histoire culturelle

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Fait partie d'un numéro thématique : Stratégies de reproduction-2
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DIALOGUE A PROPOS

DE L'HISTOIRE CULTURELLE

Le livre de Robert Darnton comporte six chapitres (1). Dans le premier, il s'agit de contes populaires français tels qu'ils ont été recueillis par les folklo- ristes entre 1870 et 1914 et dont on peut supposer qu'ils donnent à lire les versions qui étaient racontées auxl7e et 18e siècles, donc antérieures et indépendantes de celles qui ont été fixées par l'écriture savante de Perrault, de madame d'Aulnoy ou de la comtesse de Murât. Comprendre ces contes, dont la crudité et la cruauté surprennent, exige de les rapporter aux expériences sociales, aux pratiques quotidiennes, du monde où ils circulent, à savoir la société paysanne d'Ancien régime, bien connue maintenant grâce aux monographies régionales et aux synthèses qui lui ont été consacrées depuis 25 ans. De là l'interprétation : les contes français diraient, dans une manière spécifique, nationale, un savoir sur le monde social et, aussi, les précautions à prendre ou les règles à suivre pour pouvoir s'y débrouiller. «Frenchness exists» : elle consiste en une morale de l'astuce, en une célébration de la ruse, seuls recours face à une société dure, injuste, brutale. A travers les contes, c'est donc la pensée paysanne sur le monde qui s'exprimerait.

«The great Cat Massacre» , qui donne au livre son titre, est le récit d'un massacre de chats opéré par des apprentis et des compagnons imprimeurs rue Saint-Séverin à Paris, dans les années 1730. L'épisode est raconté par l'un des massacreurs, Contât, devenu pro te puis graveur, dans un texte manuscrit intitulé Anecdotes typographiques et daté de 1762. Mal nourris par leur maître, réveillés par les chats du voisinage, les apprentis et compagnons décident de se venger : d'abord, en importunant le maître et sa femme par des miaulements nocturnes près de leur fenêtre, ensuite en menant, à la demande même du maître, une véritable chasse aux chats qui n'épargne pas la Grise, la chatte adorée de la maîtresse , fracassée à coups de barre de fer. La tuerie finit en parodie, certaines des victimes félines étant condamnées à être pendues après un procès de dérision. La scène courrouce le maître, désespère la maîtresse, qui a compris que la Grise était morte, et déclenche le rire des

ouvriers. Elle leur paraît si plaisante que longtemps après ils en riront encore, en particulier grâce aux talents d'imitateur de l'un d'entre eux, qui rejouera l'événement en contrefaisant la colère du maître et l'émoi de la maîtresse.

Pourquoi donc ce rire, produit par cet horrible massacre ? Pour le savoir, il faut aller au contexte. Ici, il est de trois ordres : social, avec les tensions qui existent entre maîtres et compagnons de l'imprimerie parisienne ; festif , avec les emprunts aux rituels carnavalesques et compagnonniques ; symbolique, avec les significations multiples attachées au chat, qui en font une incarnation du diable, un représentant de la maisonnée, un symbole du sexe de la femme. En jouant de ces sens pluriels, les compagnons imprimeurs peuvent agresser leur bourgeois et sa femme sans violence physique. La maîtresse, en effet, est réputée sorcière sans que les mots aient à le dire, atteinte dans son honneur de femme sans qu'aucun geste n'ait à la forcer. L'agression métonymique, qui fait subir réellement aux chats les violences qui atteignent symboliquement les maîtres, sans que ceux-ci puissent répondre , est si subtile, si bien menée, qu'elle ne peut que faire rire. Très fort et longtemps.

Les quatre autres essais appartiennent à un autre registre culturel que les contes paysans ou le récit d'un imprimeur : il s'agit, en effet, d'une description anonyme de la ville de Montpellier, due à un bourgeois de la cité en 1768, des rapports rédigés par Joseph d'Hémery, inspecteur de la librairie, sur les nommes de lettres de son temps (501 entre 1748 et 1753), du Système figuré des connaissances humaines de YEncyclo- pédie, enfin des lettres adressées par un négociant de La Rochelle, Jean Ranson, au directeur de la Société typographique de Neuchâtel, Ostervald, et dans lesquelles il commande des livres et commente ses lectures.

1 — R, Darnton, The Great Cat Massacre and other Episods in French Cultural History , New York, Basic Books, 1984 (traduction française .Le grand massacre des chats ; attitudes et croyances dans l'ancienne France, Paris, R. Laffont, 1985).

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