MALIK VON ALLMEN
LES
RAPPORTS
DE PARENTE
COMME
RAPPORTS DE
PRODUCTION
SYMBOLIQUE
STRATEGIES
MATRIMONIALES EN ALGERIE
L'objet de cet article, qui se propose essentiellement de comprendre ce qu'est la cohésion familiale et de distinguer les différentes formes qu'elle peut prendre, ne s'est véritablement dessiné qu'à partir du moment où l'on s'est intéressé à la place spécifique du mariage dans la combinaison des stratégies familiales. On ne peut saisir les différentes manières dont la cohésion familiale est produite sans mettre les stratégies matrimoniales en relation avec les moyens et les intérêts matériels et symboliques que les individus et les familles détiennent selon leur position et leurs trajectoires dans l'espace social, sans tenir compte aussi de la séparation des sexes et des unités familiales et des contraintes pratiques qu'elle entraîne dans le processus matrimonial, ni enfin des rapports de force existants au niveau de la parenté. Les parents sont en effet, selon leur proximité, leurs capacités et les ressources qu'ils représentent, inégalement mobilisables et maîtres des situations dans le mariage et les divers domaines où la cohésion peut s'effondrer.
Cette recherche s'appuie sur un ensemble de monographies familiales réalisées en Algérie entre 1973 et 1975. Afin de permettre la comparaison des enjeux du mariage et de pouvoir saisir la portée des choix matrimoniaux, la collecte des données a visé à la fois la diversification sociale et l'analyse longitudinale des cas. Si le genre des chroniques familiales est très répandu, il est rare que de telles chroniques s'attachent aussi bien au devenir de familles dépossédées que de familles nanties, sans changer de cap ou d'objet à chaque fois(l).
1— L'enquête, effectuée dans le cadre de l'AARDES (Association algérienne pour la recherche démographique, économique et sociale), a été menée avec Ismail B., Zohra Ba., Yahia Ch. et Latifa Be. Le principe de l'étude était de travailler avec chacun de ces informateurs dans son propre réseau de parenté. Les données recueillies, par lesquelles on a cherché à donner corps aux généalogies à l'aide de renseignements sur les protagonistes et la réalisation des mariages, portent sur trois à cinq générations d'adultes dans lès neuf grands groupes familiaux qui ont finalement constitué l'armature de l'étude. Les plus anciens mariages étudiés sous plusieurs rapports se situent aux environs de 1860 et les plus récents, pour lesquels certaines négociations ont pu être suivies au jour le jour, en 1975. Dans un premier temps, l'exploitation des données a surtout porté sur le déroulement des mariages (AARDES, Le mariage : lieu d'un rapport entre famille et société, Alger, AARDES, Secrétariat d'État au Plan, 1976, 2 vol.). Ces premières analyses, souvent mal contextualisées, ont été complétées par une approche de la configuration des marchés matrimoniaux selon les groupes sociaux et reprises dans une démarche où l'étude des mariages se confond avec celle de l'histoire économique et sociale de cinq ensembles familiaux (M. von Allmen, Mariage et familles. L'évolution des structures familiales en Algérie, thèse de 3e cycle de sociologie, EHESS et Paris V, 1983).
